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4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 19:02

Quelques réflexions sur le présent mouvement de lutte (Henri Simon)

 

Henri Simon, ancien militant de Socialisme ou Barbarie , publie le « 4 pages » gratuit Dans le monde, une classe en lutte (disponible à Publico).

 

Ce n'est pas "nous" qui apprenons aux acteurs des luttes ce qu'ils "doivent faire", ce sont les acteurs eux-mêmes de ces luttes qui nous renseignent et nous enseignent sur leurs luttes, et leurs méthodes - adaptées à l'état présent du monde dans lequel ils vivent, dans les conditions que leur impose le système dans un cadre à la fois national et mondial.

 

Ce n'est pas ce que ces acteurs de ces mouvements pensent (leurs "idées" souvent préconçues apprises dans un conditionnement ou un autre) ou ce qu'ils pensent à ce moment de ce qu'ils font, qui est essentiel, mais ce qu'ils font sous une forme ou sous une autre, dans un but ou dans un autre, dans un mouvement pris dans la dialectique action-répression (vers une extension ou une  extinction) et dans lequel buts et méthodes sont en interaction constante dans une évolution constante. Qualifier un moment de ce mouvement peut laisser croire que l'on ignore la dynamique de tout mouvement de lutte et que bien des choses peuvent changer d'un moment à l'autre.

 

Quoique nous puissions en penser en référence à nos propres convictions et/ou théories, nous ne possédons pas "d'instruments de mesure" nous permettant de qualifier, de formuler des jugements ou de prédire un avenir. A la lumière de ce qu'il s'y passe, nous ne pouvons qu'y participer, là où ce mouvement existe - aussi humblement que le moins "politisé" nanti de sa simple révolte contre un système qui lui impose la vie qu'il subit présentement.

 

Le type de lutte né en Tunisie, qui a déferlé et déferle encore dans le "monde arabe", vient de franchir la mer pour s'implanter solidement en Espagne, menaçant de se répandre (mais il pourrait tout autant mourir) dans l'ensemble des pays d'Europe qui, d'une manière ou d'une autre subissent, avec des variantes, le poids de l'impéritie du capital à gérer son propre système autrement qu'en imposant des restrictions diverses à tous ceux qui ne vivent - ou vivaient - uniquement de leur travail. Ce type de manifestation - l'occupation permanente d'un espace public - est entièrement nouveau et tranche avec les manifestations "mobiles" limitées dans l'espace et le temps tout comme avec les occupations temporaires de bâtiments privés ou publics plus ou moins autorisées légalement. On pourrait l'apparenter aux occupations de lieux de travail au cours d'une grève mais là aussi dans ce cas on se trouve devant des limitations tant dans le but recherché (la revendication ayant déclenché le conflit), les acteurs (les seuls travailleurs de ce lieu de travail) et l'affirmation que cette occupation n'est qu'un moyen et non une finalité. On peut considérer qu'à défaut de prolétaires engagés dans une grève générale avec occupation des lieux de production, les acteurs d'une révolte - quant à la pression globale du système ressentie individuellement - n'ont d'autre recours que l'occupation d'un grand espace public et d'opposer la foule des manifestants qui s'y rassemblent aux tentatives de répression.

 

Le fait que les appels à cette méthode de lutte soient lancés - via la possibilité technique de toucher le plus grand nombre en temps réel - par des inconnus dont la seule expertise concerne l'utilisation de ces techniques, ne pouvait préjuger de leur succès quasi immédiat. Cela autorise à parler de spontanéité autour des bases identiques de révolte individuelle. Cette circonstance fait que se retrouvent dans un vaste espace des dizaines de milliers de participants non identifiés formellement ou par leur position dans le procès de production, ou par leur âge, ou par une position politique définie. C'est précisément ce qui fait la richesse de ces rassemblements, la prise de conscience d'un rapport de forces contre le système, d'abord contre son appareil répressif, et le besoin d'une permanence permettant d'aller au-delà d'une simple protestation.

 

Tout cela dérange totalement les schémas traditionnels, soit électoraux ou de réforme constitutionnelle ou autre légalisme, soit la prise d'assaut "révolutionnaire" des lieux de pouvoir, soit les perturbations du procès de production et de circulation par des actions ou des occupations des lieux d'exploitation ou des moyens de communication. Il est frappant de voir que ce mouvement de lutte refuse symboles et slogans des organisations existantes, quelle que soit leur pertinence ou leur influence antérieure.

 

Tout se passe, dans l'affirmation d'un refus de recours à la légalité et/ou à la violence sociale, comme s'il y avait une conscience diffuse d'une part de l'inanité d'une attaque frontale contre le système vu l'ampleur et l'efficacité des moyens de répression, de l'autre de l'impossibilité de paralyser l'économie capitaliste par les moyens traditionnels vu les interconnections mondiales autorisant de pallier toute paralysie de fonctionnement limitée dans un espace plus ou moins vaste mais pas à l'échelle mondiale.

 

Beaucoup, nantis de leurs instruments de mesure sociale, avec des qualificatifs divers, laudatifs ou méprisants, ne prêtent attention qu'à ce qui s'échange, qu'à ce que certains caractérisent, aux écrits, aux slogans, aux définitions, etc. Pourtant tout cela n'est souvent que l'expression d'individus ou de petits noyaux, mais surtout, ce n'est que la photographie trompeuse d'un moment d'une dynamique.

 

Quelque intéressants que puissent être les débats qui ne peuvent être que confus, ce qu'il en résultera et leur mode d'organisation (gardons nous de qualificatifs), il est un ensemble de "détails" plus ou moins négligés, qui relèvent des nécessités purement matérielles, terre à terre, qui sont, à mon avis infiniment plus intéressants parce que imposés par les nécessités de ces rassemblements permanents de plusieurs dizaines de milliers de participants : l'auto-organisation de la vie, depuis l'alimentaire jusqu'à l'évacuation des déchets. C'est ce qui se fait en ce sens, qui est peut-être le plus révélateur des aspirations de ces acteurs, plus que ce qu'ils peuvent penser, dire ou écrire sur un monde futur.

 

C'est certainement, quel que soit le sort de ce mouvement international, ces formes d'organisation spontanée dans les débats et les contingences matérielles qui marqueront la conscience des participants et influenceront, sans aucun doute, les luttes futures, quelles qu'elles soient.


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« Les jeunes réinventent les principes libertaires » (Tomaz Ibanez)


Tomas Ibanez est l'inventeur du A cerclé, et son dernier livre Fragments épars pour un anarchisme sans dogmes édité par Rue des cascades est en vente à Publico. Il est professeur de psychologie sociale à l'université autonome de Barcelone. Son interview est parue le 29 mai dans Rue 89.

A ton avis, y avait-il des signes avant-coureurs laissant présager ce mouvement ?

Rien ne permettait de prévoir que les manifestations convoquées le 15 mai dans plusieurs villes d'Espagne donneraient naissance au mouvement actuel, ni dans son ampleur, ni dans ses formes concrètes. Cette journée aurait très bien pu s'achever sur la satisfaction d'avoir réuni des milliers de manifestants, en attendant une prochaine mobilisation.

Cependant, de nombreux signes avant-coureurs permettaient de penser que, tôt ou tard, un mouvement de ce type pourrait cristalliser. Il y a eu ces dernières années toute une série d'initiatives et de luttes venant d'en dehors des organisations politiques classiques. Elles ont pris la forme d'occupations, de manifestations ou d'assemblées sur les thèmes du logement, des banques, de l'université, de la précarité…

Mais pour s'en tenir aux signes les plus récents, il y eut par exemple, en dehors de toute organisation politique traditionnelle et pendant plusieurs jours avant la grève générale du 29 septembre, des assemblées massives de jeunes dans un énorme édifice occupé en pleine place Catalunya, à Barcelone.

Son évacuation par la police le jour même de la grève se solda par des affrontements violents, et quelques mois après il y eut une nouvelle tentative d'occupation pour maintenir à nouveau des assemblées massives.

Au début du mois d'avril, une manifestation convoquée à Madrid sous l'appellation de « Jeunesse sans futur » réunit plusieurs milliers de personnes qui scandaient : « Sans maison, sans boulot, sans retraite, sans peur », et qui faisait écho aux grandes manifestations convoquées le mois d'avant au Portugal par la « génération désespérée » sous le titre la « révolution précaire ».

Quelles sont, selon toi, au-delà des causes immédiates, les racines qui ont produit une insurrection de cette forme ?

Elles sont nombreuses :

  • 45% de chômage chez les jeunes

  • une crise économique qu'on prévoit longue

  • l'absence de perspectives d'avenir

  • des mesures de restrictions économiques et sociales

  • des appels au sacrifice et à l'austérité

  • le spectacle de l'impunité de la corruption des politiciens

  • le scandale des hauts revenus dans les conseils d'administration et des bénéfices des banques

  • l'attitude conciliatrice des syndicats

  • le discours vide des partis politiques et leurs magouilles

Il y a là un ensemble de circonstances qui expliquent suffisamment le mécontentement, l'indignation et l'écœurement d'une partie de la jeunesse, mais il y a aussi d'autres éléments qui ont rendu possible ce que tu appelles l'insurrection actuelle :

  • la crise de la représentation, c'est-à-dire le sentiment de n'être reconnu par personne dans une démocratie dite représentative

  • l'abandon de la peur : c'est elle qui, dans des situations de récession, bloque la combativité ; les gens ont peur de perdre leur travail, d'encourir des représailles…

  • le sentiment d'un manque d'éthique généralisé, dans les relations internationales, dans les partis politiques, dans les milieux financiers

  • le sentiment qu'alors que des manifestations de résistances se produisaient un peu partout, Grèce, Angleterre, Portugal… la jeunesse espagnole était anesthésiée

  • la capacité de vaincre, très présente dans la force de l'imaginaire récent, manifestée par la détermination des occupants de la place Tahrir, au Caire.

En même temps, il est probable que pour ce qui est des formes concrètes prises par le mouvement, auto-organisationnelles, autogestionnaires, « assembléistes », sans leaders, avec des rotations permanentes, une certaine influence provienne des traditions libertaires ancrées dans l'imaginaire espagnol, et des réminiscences d'un Mai 68 que l'on retrouve dans l'ingéniosité des phrases écrites sur les affiches.

Ce qui a fourni au mouvement l'énergie nécessaire pour pouvoir s'affirmer, c'est l'expérience, constituée ces derniers temps, d'avoir la capacité de rassembler des milliers de personnes en dehors des organisations traditionnelles, et l'expérience de la force qui surgit de la mise en commun de volontés toutes différentes entre elles, mais tendues par le sentiment qu'« ensemble nous pouvons ».

Quelle est l'influence des différentes organisations politiques traditionnelles impliquées dans le mouvement ?

Même si des membres des organisations politiques traditionnelles participent au mouvement, ces organisations n'y sont pas impliquées.

Les assemblées n'acceptent pas que l'on puisse parler au nom d'une organisation et ils s'en tiennent fermement au principe que chaque participant n'intervient qu'en son nom et ne représente que lui-même.

Le slogan « personne ne nous représente » abonde sur les affiches et le mouvement a même refusé de se placer sous la dénomination des organisateurs des manifestations du 15 Mai « Démocratie réelle, maintenant ».

Les drapeaux, sigles, signes distinctifs… des organisations politiques ou syndicales sont bannis de l'espace occupé, et l'attitude est d'un respect extrême envers les intervenants, quitte à ce que l'assemblée manifeste sans bruit l'accord ou le désaccord.

L'organisation même du mouvement rend difficile qu'il puisse être chapeauté par une structure politique, parlementaire ou pas, car les propositions sont discutées dans les assemblées ouvertes de chaque commission, puis portées chaque jour devant l'assemblée générale, et les membres de la commission générale de coordination sont soumis à rotation.

Comment vois-tu la suite, après l'intervention de la police à Barcelone, et cette « offensive » des commerçants de Sol, sans parler des appels du Parti populaire au « nettoyage » des campements ?

La suite immédiate est difficile à prévoir, car les rebondissements sont incessants. Vendredi, la police intervenait à Barcelone : le résultat, c'est que ça a relancé et fortifié le mouvement, qui a regroupé dans la soirée des milliers de participants.

Les interventions des autorités ont toujours eu jusqu'à présent le même effet : évacuation de la Plaza del Sol à Madrid, retour en force du mouvement ; interdiction des occupations la veille des élections du 22 mai, renforcement du mouvement ; intervention musclée du 27 mai, relance du mouvement.

Les agissements des autorités étant imprévisibles, il n'est pas exclu qu'une nouvelle décision ravive une fois de plus la mobilisation. Ceci dit, le plus probable est que les occupations des places espagnoles prennent bientôt fin et le mouvement se pose bien sûr la question de sa continuité.

Il y aura sans doute une certaine délocalisation en créant des collectifs de quartier et en maintenant les contacts entre collectifs au niveau des villes et du pays dans son ensemble, mais en maintenant des structures souples et en évitant la forme parti.

Il est possible qu'à la longue, seuls fonctionnent vraiment les réseaux Internet, mais ils garderont la possibilité de réinitier des occupations de places publiques, des manifestations, et des actions diverses qui n'auront d'autre garantie de succès que la réceptivité qu'elles trouveront chez les concernés.

Ce qui sans nul doute laissera des traces profondes c'est le processus enclenché, c'est l'expérience vécue par des milliers de jeunes et les transformations qu'ils auront éprouvées.

J'ai l'impression que ce mouvement confirme les thèses que tu développes dans ton livre. Mais alors, pourquoi s'affirmer encore anarchiste, comme tu le fais avec toute la confusion trimbalée par le vocable ?

Oui, il s'agit d'un mouvement qui se coule difficilement dans le moule des organisations et des idéologies classiques. Mais tout en rejetant les étiquettes politiques identitaires, il réinvente dans la pratique bon nombre de principes organisationnels et politiques libertaires, ou en tout cas anti-hiérarchiques, horizontaux et soupçonneux envers les rapports de pouvoir.

Ce genre de mouvement a bien sûr toutes mes sympathies, et cependant j'ai du mal à renoncer à mes références anarchistes. Il se pourrait que ce soit une inertie liée à ma biographie, trop d'années vécues dans cette identité pour pouvoir la changer maintenant, peut être… mais je ne le crois pas.

Je crois que tout en ne mettant pas en avant cette étiquette, en demeurant critique envers bien de ses aspects et en sachant quelle est sa charge de confusions, la référence au bagage d'expériences historiques, de réflexions et de débats que charrie l'anarchisme continue à être utile pour se maintenir vigilant face aux mille ruses du pouvoir.

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