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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 13:24
   
Le délit de harcèlement sexuel n’existe plus dans le Code pénal, depuis le 4 mai 2012. Les membres du Conseil constitutionnel en ont ainsi décidé après avoir été saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée par Gérard Ducray, maire-adjoint de Villefranche-sur-Saône, ce dernier étant accusé d’avoir harcelé trois de ses subordonnées des services municipaux entre 2007 et 2009. Il a été condamné en appel le 15 mars 2011 à trois mois de prison avec sursis, 5 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer toute fonction publique. Rappelons que le sieur a été secrétaire d’État au Tourisme de 1974 à 1976, sous Giscard d’Estaing, et qu’ainsi il connaît au moins quatre membres du Conseil constitutionnel : Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Jacques Barrot (alors secrétaire d’État au Logement) et Hubert Haenel (alors conseiller aux questions judiciaires à l’Élysée), même si les deux premiers n’ont pas siégé. Le Conseil constitutionnel est-il lui-même constitutionnel, quand nous constatons la connivence entre Ducray et quatre des membres ? Dans sa décision, la haute juridiction estime que « l’article 222-23 du Code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ».

Il serait sans doute nécessaire de revenir sur l’historique des lois contre le harcèlement sexuel et contre les violences faites aux individus, le plus souvent des femmes et des enfants. Les violences bénéficient d’une très grande tolérance sociale au profit de leurs auteurs, alors que toute atteinte à la propriété privée est sévèrement punie. Ce qui nous laisse augurer que le corps n’appartient pas à l’individu mais à la collectivité, à un groupe social, ou à un autre, une autre qui exerce pouvoir et domination. Nous pensons aux rites communautaires imposant sur le corps des sacrifices, aux pressions sociales ordonnant de s’habiller, de s’enfoularder ou de se dénuder, mais aussi au viol, au système prostitutionnel, à l’esclavage sous toutes ses formes. Et pourtant, l’individu est distinct et indivisible, donc non partageable, il ne peut être une proie. Quel paradoxe !

C’est la loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes qui crée le délit de harcèlement sexuel par l’article 222-33 : « Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende. » Dès la promulgation de la loi, présentée par Véronique Neiertz, Secrétaire d’État aux Droits des femmes et à la Consommation, les féministes émettent des critiques, particulièrement l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), association créée en 1985. L’AVFT dénonce qu’il faille prouver un défaut de consentement quand l’inverse – s’assurer du consentement – serait plus juste, que les contours du mode opératoire ne sont pas définis, et que l’abus d’autorité nécessite une interprétation par les magistrats tout en exonérant les collègues.

La même année, le Code du travail est modifié par la loi du 2 novembre 1992 relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail et modifiant le Code du travail et le Code de procédure pénale. Les dispositions relatives au harcèlement sexuel sont intégrées aux articles L122.46 et suivants. Dès 1992, Mireille Beynetout, Sylvie Cromer et Marie-Victoire Louis, toutes trois de l’AVFT, relèvent : « Bien que le projet de loi réformant le Code du travail en matière de harcèlement sexuel puisse apparaître comme une avancée, il est sur le fond insuffisant et juridiquement contestable. » Cette critique porte notamment sur l’approche réductrice du phénomène de harcèlement sexuel, terme jamais cité dans la loi, qui n’inclut pas les comportements sexistes, plus nombreux, qui ont pour but d’humilier la personne harcelée et non d’obtenir des faveurs de nature sexuelle.

Après quelques modifications en 1998 et en 2001, puis sous l’impulsion d’Elisabeth Guigou, ministre de l’Emploi et des Affaires sociales, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 crée le délit de harcèlement moral et modifie les dispositions relatives au harcèlement sexuel dans le Code du travail et la définition pénale du harcèlement sexuel. L’exigence d’abus d’autorité est supprimée, les collègues ne sont donc plus exonérés de responsabilités, et les termes « ordres, contraintes, menaces, pressions » disparaissent. Mais suite à la recodification du Code du travail en 2008, l’article L1153-2 devient in fine : « Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel. » Le harcèlement sexuel n’est pas défini ! Et l’article L122-52 [L.1 154-1] du Code du travail devient : « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1 152-1 à L. 1 152-3 et L. 1 153-1 à L. 1 153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

La loi de modernisation sociale modifie également l’article 222-33 du Code pénal, afin d’harmoniser le Code du travail et le droit de la fonction publique avec le Code pénal. L’article devient ainsi : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Il s’agit surtout de ne pas créer de régime trop différent entre les délits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel. Mais « le fait de harceler » sera toujours jugé à l’aune de l’intentionnalité du harceleur (« dans le but d’obtenir »), non défini par la loi et donc dépendant des interprétations jurisprudentielles, voire de l’analyse subjective des magistrats. Il en va de même pour le but poursuivi, à savoir « les faveurs de nature sexuelle ».

En 2007 et 2008, la France a reçu de la Commission européenne trois procédures d’action en manquement et deux mises en demeure à propos de la mauvaise transposition de plusieurs directives liées à la lutte contre les discriminations ou à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Dans l’indifférence la plus totale, le gouvernement a donc fait voter en urgence une nouvelle transposition de la directive 2002/73/CE sans reprendre la directive d’origine qui définit précisément le harcèlement sexuel. Ainsi, la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ne satisfait pas les associations qui souhaitaient une définition précise du harcèlement sexuel et l’harmonisation des définitions entre le Code pénal, le Code du travail et le droit communautaire, afin de lever les ambiguïtés qu’elles suscitent.

Vingt ans après la première loi contre le harcèlement sexuel, peu d’affaires arrivent à terme. En effet, les personnes victimes craignent la relaxe pour l’agresseur et le risque de poursuites en dénonciation calomnieuse en violation du principe de la présomption d’innocence. Perdre cette loi est salutaire mais en l’absence de caractérisation du délit de harcèlement, aujourd’hui, les personnes victimes se sentent abandonnées par la justice puisque toutes les procédures pénales en cours sont annulées. Le message d’impunité ainsi adressé aux harceleurs est révoltant. La chasse est ouverte !

À l’appel de plusieurs associations, dont l’AVFT libres et égales, la Marche mondiale des femmes, Femmes solidaires, le Collectif national droits des femmes, le Collectif féministe contre le viol, du jour au lendemain, plus de 300 personnes se sont rassemblées samedi 5 mai, place Colette, dans le Ier arrondissement de Paris, à deux pas du Conseil constitutionnel qui a annulé la loi contre le harcèlement sexuel. Abrogation = permis de chasser ou encore Nous ne nous tairons pas, pouvait-on lire sur les pancartes. Après quelques interventions des associations présentes, le rassemblement s’est terminé par un nouvel appel à continuer la mobilisation. Et puis, sous le coup de la colère et de l’enthousiasme militant, les manifestantes et manifestants se sont dirigés spontanément jusqu’au commissariat de police du Ier arrondissement, en criant sans discontinuer « Harcèlement sexuel, une loi, une voix, pour les victimes ! » Là, une plainte est portée contre le Conseil constitutionnel en la personne morale de son président, Jean-Louis Debré, pour « mise en danger délibérée des personnes victimes de harcèlement sexuel et trouble à l’ordre public » ! Les policiers interloqués ne savent pas si cet enregistrement est recevable : ils consultent le procureur de la République. Enfin, la plainte est enregistrée. Une plainte contre le Conseil constitutionnel est une première !

Bien sûr, certains et certaines s’étonneront que, dans les colonnes du Monde libertaire, nous nous « apitoyions » sur l’abrogation d’une loi, mais n’oublions pas que tant que le patriarcat et le sexisme gangrèneront nos vies, il faudra bien faire savoir que nos corps ne sont pas à prendre, à vendre, à harceler. Le contrat social doit être affiché de façon explicite, de manière à pouvoir rappeler à qui viole, violente ou harcèle que non, nous ne nous laisserons pas faire.

Hélène, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste
Pour apporter son soutien et rester informé-e : http://www.mmf-france.fr

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