Le sens que les anarchistes donnent au mot liberté a été vu une première fois ici. Néanmoins, il mérite qu'on y revienne : deux fois c'est mieux qu'une... surtout que ça n'en exclut pas une troisième ! ...Quand on aime (la liberté), on ne compte pas !!
Into the Wild de Sean Penn & There will be blood de Paul Thomas Anderson (Extrait d'un article de Mato-Topé, paru dans le Monde libertaire 1541)
(...) Ce que dit avec force Sean Penn dans son film, c'est que la liberté conçue comme refus entêté du lien social (tout au long de ce road-movie, le jeune héros immature fait de belles rencontres qui lui proposent une alternative concrète à son absurde projet) conduit irrémédiablement Into the Wild, dans le désert, dans la sauvagerie et à la destruction. Ce faisant, le discours de Sean Penn constitue l'exact contre-pied de l'idéologie bourgeoise qui, après des siècles d'inculcation, a réussi à faire accroire que "ma liberté s'arrête là où celle de l'autre commence" afin de poser les fondations de l'Etat de droit. Dans cette vision du monde qui ne connaît que des individus certes égaux en droit mais atomisés, l'Etat joue un rôle d'arbitre en garantissant les droits de chacun contre les ingérences de tous les autres. Car, si la liberté s'arrête effectivement là où celle de l'autre commence, la recherche légitime et inévitable de l'accroissement de sa propre liberté passe impérativement par la réduction proportionnelle de celle des autres.
Dès lors, dans la mesure où un être humain refuse à jouer du rapport de force pour faire reculer la liberté des autres ou pire d'user de la domination pour les asservir, seule la solitude peut lui garantir la jouissance d'une liberté absolue. "Au point de vue barbare, liberté est synonyme d'isolement : celui-là est le plus libre dont l'action est la moins limitée par les autres."
(...)
La fiction contemporaine de Penn s'achève par une prise de conscience simple mais fondamentale : happiness must be shared ! Le bonheur doit être partagé. Mais la prise de conscience intervient trop tard et la mort sanctionne son aveuglement idéologique.
Les lecteurs et les lectrices de Proudhon et de Bakounine rajouteront : pour exister, la liberté doit être partagée tout autant. En cela, ils incarnent une façon radicalement opposée de penser le monde et la liberté :
"Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d'autrui, loin d'être une limite ou une négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. (...) C'est au contraire l'esclavage des autres qui pose une barrière à ma liberté, ou, ce qui revient au même, c'est leur bestialité qui est une négation de mon humanité."
Plus explicitement politique encore dans There will be blood, Paul Thomas Anderson montre avec force que la recherche de l'enrichissement personnel, la quête de l'Eldorado, n'est qu'un moyen pour le misanthrope d'échapper aux autres. Le chercheur de pétrole interprété par Daniel Day-Lewis, Daniel Plainview le met bien "en évidence" (une traduction possible de Plainview) en déclarant : "Je hais la plupart des gens, alors, je veux juste gagner suffisamment d'argent pour les éloigner tous." Mais pour réussir à les éloigner tous, il faut énormément d'argent et pour en gagner autant, il faut passer sur un amoncellement de cadavres : même le lien filial est délibérément rompu dès lors qu'il n'est plus utile à l'entreprise d'enrichissement. Cette logique absurde, inhumaine, négation de toute humanité, pour reprendre Bakounine, conduit à la solitude et Daniel Plainview à l'enfermement dans un château complètement vide (...). Comme le titre l'indique, finalement, le sang qui a accompagné toute sa vie de self-made man, qui s'est construit effectivement tout seul mais constamment contre les autres, clôture cette pitoyable existence dans la folie et la mort en révélant sa vérité ultime.
Ces belles réflexions critiques sur les mythes fondateurs de la société américaine rappellent aux spectateurs & spectatrices mondialisés (...) le caractère mortifère des deux piliers idéologiques de la société marchande et que la condition d'existence non seulement du bonheur mais de toute vie est le partage et l'entraide. Comme le rappelle Proudhon : "Au point de vue social, liberté et solidarité sont termes identiques."
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Mato-Topé dans le Monde libertaire du 29 janvier au 4 février 2009