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15 septembre 2017 5 15 /09 /septembre /2017 20:28

Rassemblement du 8 et 9 juillet 2017 : une zone d’artivisme

 

 

L’artivisme, néologisme formé des mots « art » et « activisme », désigne toutes formes artistiques qui se préoccupent des questions politiques et s’engagent dans la lutte de façon active et directe. L’art qui provoque une expérience esthétique, c’est-à-dire la manifestation chez le spectateur à la fois d’une émotion et d’une vérité provenant de la forme esthétique, se joint à l’action directe qui cherche à créer une subversion politique et sociale en ayant une empreinte directe sur l’environnement. De ce fait l’art et l’activisme se rejoignent sur des formes esthétiques « in situ » tels que le land art, le street art, la performance, le carnavalesque et les happenings. Le rassemblement politique contre la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes du 8 et 9 juillet 2017 offraient-ils différentes formes d’artivisme ?

 

Dans un premier temps, la forme esthétique la plus visible et la plus « commerciale », c’est-à-dire faisant « vendre » le rassemblement et amener des participant-e-s, était la scène musicale. A partir de 18h jusqu’à 2h du matin le samedi défilaient de nombreux artistes : ZADsocialRAP, Miossec, E.D.F Trio, Didier Super, Beat Bouet Trio et Molécule. De même le dimanche, il était possible d’écouter de 14h à 20h45 Barba Loutig, René Lacaille èk marmaille, HK « l’Empire de papier », Gabriel Saglio et les Vieilles Pies. La plupart de ces artistes expriment par les paroles de leurs chansons un engagement politique en dénonçant et contestant certaines inégalités sociales, violences symboliques et absurdités écologiques découlant du système dominant en place. Ainsi, pour donner quelques exemples,

ZADsocialRAP

ZadsocialRap est un collectif créé sur la ZAD il y a trois ans. Il mêle écriture poétique et rap afin de raconter les difficultés et les espoirs qui se lient à la ZAD telles que les violences policières et certaines utopies écologiques et sociales. Leurs productions sont audibles sur youtube ou soundcloud et les titres des chansons montrent le lien étroit entre leur art et l’activisme : Premier Sinistre, Infraction capillaire, Message aux générations futures, Signe ou saigne, etc. Leur artivisme s’inscrit dans la tradition du rap engagé qui, né en zone urbaine et défavorisée, s’empare de la prise de parole publique pour dénoncer et refuser les modèles dominants en usant de mots crus et de métaphores 1. On aperçoit à travers eux la figure romantique du poète engagé qu’espérait tant Victor Hugo2. On retrouve la même posture d’engagement avec EDF trio et Beat Bouet Trio. L’un accompagné de musique celtique, l’autre de musique hip hop celtique, ils dénoncent le système en place et prononcent des utopies. Didier Super, quant à lui, procède différemment. Assez connu sur les ondes dites de gauche comme France inter, il se moque dans ses chansons des travers de notre société en poussant à l’extrême les excès et les défauts non seulement des classes dominantes mais aussi de l’abrutissement général. Procédant par la pratique de ce que Édouard Glissant nomme du Détour, il pousse au paroxysme le caractère dérisoire, non pas ici de la genèse de l’être créole, mais de l’homme moderne aliéné, « colonisé ». On retrouve ce procédé artiviste au sein des fausses manifestations de droite : mettre en évidence le grotesque de l’ordre dominant. Pour faire entendre sa voix, il prend un malin plaisir à chanter et jouer de sa guitare de manière outrageusement fausse. Il se plaît à produire du dérangement, du désordre dans l’harmonie écœurante de l’ordre dominant. Certaines de ses productions sont des performances puisqu’on peut le voir à Sète, au bord des terrasses de restaurants et cafés chics, pousser sa chansonnette afin de mettre en dérision les vacanciers qui ont les moyens. Au sein de cette programmation musicale dont l’art même se veut engagé, on retrouve cependant, Molécule, musicien électroacoustique. Cet artiste a participé au rassemblement par conviction personnelle mais ne définit pas sa musique d’art engagé3. Présente par soutien au mouvement, la musique électronique de Molécule participe cependant au rassemblement et à l’activisme présent par l’émotion qu’elle suggère et la cohésion de groupe qu’elle produit. Les participant-e-s à l’écoute de la musique de Molécule peuvent partager la charge émotionnelle et sensitive qu’elle procure (vibrations sonores, rythmes, danses). Répétitive et minimaliste, la musique de Molécule peut sembler procurer, dans une moindre mesure, ivresse parfois aidant, de la transe collective, de la dissolution de soi et du monde social, favorisant ainsi un ordre nouveau du monde.

 

 

Totems en lutte

Dans un deuxième temps, les participant-e-s venu-e-s au rassemblement, dès l’entrée, étaient frappé-e-s par les nombreux totems regroupés sur le côté en une sorte de petit bois sacré. La plupart des totems affichaient une accumulation de pancartes indiquant les luttes écologiques depuis les années 1970 à nos jours : contre les centrales nucléaires, contre les projets d’aéroports inutiles, contre l’extraction de minerais toxiques, polluants et dangereux. Ainsi, on pouvait admirer de nombreux totems qui mettaient en reliefs la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sur un totem les directions de tous les collectifs de soutien à la ZAD et à la lutte étaient affichées, de Questembert à L’île de Saint Denis en passant par Lyon, sur un autre les directions de tous les lieux-dits qui abritent la ZAD, plus loin les noms des associations moteurs, encore plus loin toutes les actions qui ont été menées contre ce projet, sur un autre les espoirs et les objectifs de cette lutte. Certains totems étaient l’œuvre de comités de soutien mêlant œuvre artistique et slogans militants. D’autre part, on pouvait prendre connaissance des autres combats écologiques contre les grands projets inutiles imposés tels stop nucléaire, non aux ogm, stop HS2 à Londres, la lutte dans le Tarn, à Roybon, à Bure, qui étaient exprimés sur d’autres totems. Enfin, il était aussi possible de contempler des totems sans écritures contestataires ni utopiques. Ces derniers semblaient être là en simples objets décoratifs. Cependant, cette décoration n’est pas anodine. Ces totems faits de bois et de matières végétales ou de récupérations symbolisent les luttes écologiques. Il y a dans le totémisme l’idée à la fois de sacré, d’interdit et de clan. Ici la Nature incluant le végétal et l'animal est posée comme sacrée et à protéger. De même, le café-balade organisé le dimanche à 9h proposait non seulement une promenade afin de découvrir la ZAD mais aussi de planter quelques bâtons de plus sur le champ du 8 octobre 2016. Le programme rappelait alors le serment « Nous sommes là, nous serons là ». Ce happening de l’ordre du land art, ici land artivisme, pose aussi la lutte écologique comme sacrée, le bâton représentant à la fois les arbres, la végétation mais aussi les armes, la lutte. Le combat écologique fait office de totem plaçant alors comme interdit, menaçant et dangereux, son inverse : les projets inutiles polluants. Autour de ces totems se rassemblait le clan des combattants qui se reconnaissent au sein de ces luttes. Le/la spectateur/trice qui contemplait ce petit bois sacré dédié à la résistance écologique est obligé/e de lever la tête vers le ciel, vers les hauteurs et fait l’expérience esthétique et extatique de l’espoir et de l’utopie, se rendant pleinement conscience de l’immensité de la planète, de la Nature face à la relativité de son existence individuelle.

 

 

Dans un troisième temps, cette contemplation du ciel et ainsi de la grandeur de l’univers a pu aussi s’effectuer lors du rassemblement pendant le lâcher de ballons. Une occupation du ciel a eu lieu par l’envol de 500 ballons construits par l’association Les Rallumeurs d’étoiles. On peut lire sur le site internet de Notredamedeslandes2017 les propos de cette association :

 

« « Il est grand temps de rallumer les étoiles... »  Ce vers d'Apollinaire prend tout son sens en cette période sombre et propice aux obscurantismes de toute forme. Pour entretenir la lueur qui brille dans nos yeux et dans nos cœurs, mais aussi pour lutter contre cette société déshumanisante, notre collectif "Les Rallumeurs d'étoiles" vous propose un projet collectif et solidaire, dans le cadre de la convergence des luttes à Notre-Dame-Des-Landes. Les Rallumeurs d'étoiles sont des personnes qui chaque jour, à leur petite échelle, par un geste, un engagement, une création, entretiennent une lueur. »

 

Envol d'une vache

Ces ballons n’étaient pas seulement des lanternes illuminant poétiquement le ciel mais ont été construits en vue de manifester un engagement politique. D’une part, inscriptions, dessins, formes mettaient en avant la lutte actuelle et les résistances passées. Cette occupation, d’autre part, contrastait avec celle perpétuelle des hélicoptères de la police et de la gendarmerie pendant la journée. Enfin, la lanterne poétique montrait l’espoir des militants de prendre place dans le ciel et de s’opposer à l’invasion incessante des avions et aéroports polluant l’air et la terre. Ces lanternes semblaient prendre le rôle symbolique d’une lumière guidant un peuple, tel Lucifer, celui qui porte la lumière, à la fois personnage nocturne et symbole de la parole divergente et subversive.

 

 

Triton joyeux

Dans un quatrième temps, la forme d’art la plus présente, visible aussi lors des manifestations politiques, était les affiches, panneaux, banderoles mettant les arts plastiques et la littérature au service de la cause politique. D’une part, le logo de la lutte « Aéroport non » pouvait se voir à de nombreux endroits et sous différentes formes. On pouvait ainsi par exemple contempler un long panneau photographique intitulé « ils ont dit « non » » représentant de multiples personnes qui brandissaient ce logo. D’autre part, le logo représentatif de la ZAD était aussi visible de différente manière : sous forme de banderoles géantes ou d’autocollants affichant un arbre au centre d’un cercle rouge au devant desquels est écrit en lettres noires « La ZAD est partout » mais aussi sous celle d’un triton en contreplaqué à taille humaine. Ensuite, nombreux sont les comités de soutien qui avaient exposé leurs panneaux. Chaque dessin, peinture et slogan mettaient en exergue la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes et exprimaient soit la rage, la solidarité, la préciosité de la nature, l’absurdité du projet, etc. Écriture et image se côtoient afin de soutenir la cause et de rassembler autour d’un message simple et direct qui peut se scander facilement au sein des manifestations. Les logos deviennent des signes de ralliement qui sous forme d’autocollants peuvent soit s’afficher de façon personnelle à l’arrière de sa voiture soit, à la manière de l’action directe, être plaqué sur l’espace public et visible aux yeux de tous-tes.

 

 

Dans un cinquième temps, les arts du spectacle, en dehors de la musique, étaient aussi utilisés au profit de l’engagement politique. Tout d’abord, de nombreux films engagés étaient au programme. Leur genre était celui du documentaire. Le film-documentaire est ici pris comme témoignage de la lutte en cours, passée ou à venir. On pouvait dénombrer neuf projections sur les deux jours de rassemblement. Certains évoquaient la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes comme NDL, une zone humide à défendre de Léo Leibovici, Les Pieds sur terre de Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller, Kiri-nij en toull-karr, les avions dans les ornières de Sébastien Guillou ou encore Les sentiers de l’utopie d'Isabelle et John de la ZAD. D’autres films décrivaient d’autres résistances actuelles ou d’autres absurdités engendrées par le capitalisme : la jungle de Calais, les équipages abandonnés par les armateurs étrangers en rade de Brest, les villes en transition, les solutions alternatives à l’agriculture conventionnelle ou encore les modes d’activisme pacifiste possible lors de la COP21. Ensuite, quelques pièces de théâtre étaient proposées au programme : Les Suppliantes d’Eschyle interprétées par dix-huit réfugié-e-s de quatorze pays (Théâtre du Tiroir – Laval), Vive la 7ième Rép’ !, one woman show de Nathalie Delhommeau et Le Cauchemar du préfet par la compagnie Mémoires futures, fable écologique écrite par Patrick Grégoire d’après les témoignages des habitants de la ZAD. Pour Patrick Grégoire et Jean-Philippe Magnen, « cette réalité est tellement folle, les mensonges sont tellement patents, les manipulations tellement énormes, les enjeux tellement stupides, qu’ils nous racontent la folie humaine dans toute sa grandeur. Ils nous racontent comment la réalité est devenue fiction, comment le système est devenu cauchemar », peut-on lire sur le site zad.nadir.org. Le théâtre a sa place dans l’engagement politique en ce qu’il offre la possibilité de mettre en évidence soit le tragique des conditions humaines engendrées par l’ordre dominant soit le dérisoire de cet ordre en place. Contrairement aux films documentaires qui donnent la possibilité de prendre du recul et d’enclencher une réflexion du fait de son esthétique de projection-écran, le théâtre convoque les corps, leurs inévitables prégnances, les luttes qui s’y logent les transformant en champ de bataille. Le corps charnel et organique se place devant le public et manifeste les tiraillements qui le conditionnent. De même les clowns activistes, avec leurs corps désarmés, leurs fleurs aux boutons et leurs couleurs chatoyantes s’opposent aux corps robocops des policiers armés et uniformisés. Leurs nez rouges et le rire qu’ils suscitent sont leurs seules « armes ». Ils cherchent à mettre en évidence le caractère dérisoire du pouvoir en place. Cependant, les clowns activistes étaient peu présents au rassemblement et aucun happening ne fut fait. L’armée clandestine des clowns insurgé-e-s et rebelles bien que présente n’a pas eu besoin de mettre en avant ces talents de dérision puisqu’au rassemblement aucune répression policière n'a eu lieu. Certains éléments propres au carnaval étaient aussi présents comme la mascarade ou la déambulation. Ainsi, une déambulation silencieuse quelque peu carnavalesque fut mise en place par l’association France-Palestine Solidarité. Chaque participant-e portait une lettre formant le slogan « STOP GAZA » accompagné d’un porteur de drapeau palestinien.

 

 

La créativité et l’imagination furent donc bien présentes au rassemblement. Dans une lutte qui souhaite construire un nouveau monde possible, enclencher une utopisation du monde empreint d’écologie et d’égalité sociale, l’art a toute sa place comme forme d’expression autant que arme. L’artivisme provoque des images fortes, des discours percutants, des émotions partagées et/ou son contraire, des mises à distance réflexives ou dérisoires. L’artivisme place au premier plan la liberté de création et d’imagination comme élément moteur de changement politique et social. L’altermondialisme qui se lie à la lutte actuelle est en quête perpétuelle de

Espace bout-de-choux

nouveauté. Ainsi, nombreux étaient les stands qui proposaient des modes de vie et des visions du monde différentes et créatives : cuisine végane, récupération de pièces mécaniques, création de bicyclettes originales issues de la récupération, mode de vie écologique, autogestion, etc. Cette créativité était aussi développée pour les générations à venir. Les enfants avaient leur espace où ils pouvaient peindre, construire un totem, se faire maquiller, jouer à différents jeux en bois, grimper sur un camion fait de bottes de paille, faire un tour de manège actionné par un vélo, s’initier à la jonglerie, etc.

 

 

Cependant, tout d’abord, cet espace participatif n’était encore que pour les enfants. Les spectateur-trice-s adultes n’avaient d’autre choix que la consommation. Aucun espace ne leur permettait, si ce n’est la possibilité de danser lors des concerts, de participer à la créativité. Malgré tout, l’art reste encore souvent relégué à l’animation pour enfants, à l’enfantin, au pas sérieux ou aux « spécialistes », à ceux qui osent, aux « originaux », à ces ouvrier-ère-s de l’imagination, ce prolétariat de la création artistique, ces fauché-e-s sans le sou, rêveur-euse-s et poètes, ces ancien-ne-s écolier-ère-s « tu finiras mal », ces ânes et ânesses baté-e-s, ces râté-e-s de la norme, ces empêcheur-eus-s de tourner en rond, ces prêcheur-eus-s de révolution, ces cinglé-e-s à côté de la plaque, mal mené-e-s par l’intermittence du chômage, cette catégorie du bas-fond, porteu-euse-s d’une lumière divergente guidant le peuple vers l’insoumission. Or serait-il, peut-être, temps de proposer une grande participation créatrice et engagée qui mettrait en lumière toute la folle imagination d’un peuple qui se libère de toutes formes de catégorisation et d’aliénation ? Ensuite, certes l’art qui s ‘exprimait au rassemblement était volontairement engagé et participait, in situ, au rassemblement contre le projet d’aéroport, néanmoins, ces deux jours offraient-ils la possibilité d’une action directe ou pouvaient-ils être perçus comme une transgression permise et dès lors comme une soupape de sécurité à l’ordre dominant en place ?

 

 

Blodwenn MAUFFRET

Groupe René Lochu

SeFeA/IRET Paris 3

SOFETH

1Voir l’article de MASSON-FLOCH Adeline et FAYOLLE Vincent, « Rap et politique », in Revue de l’ENS de Lyon, mots.revue.org, 2002.

2Voir HUGO Victor poème intitulé La Fonction du poète.

3Entretien personnel, août 2017.

 

par anars56

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