blog - Vannes & alentours
Après Gilles Servat, voici un autre gars du coin, un gars de la côte, qui gagne à être connu... ou plutôt qu'on gagne à connaître !
L'homme, la terre, la mer et l'anarchie...
Version audio de l'entretien donné par Eugène Riguidel à Tébéo TV (Télé Bretagne Ouest), à la mi octobre 2010, pendant le mouvement contre la "réforme" des retraites.
Ecoute en mp3, là : http://bit.ly/g2zANz ou http://www.mediafire.com/?a22ucbdqw17
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ENTRETIEN du 22 mai 2006 avec Eugène RIGUIDEL, le marin rebelle qui a eu la sympathie de répondre à nos questions pour le Monde libertaire.
Eugène, ça fait quoi d’être célèbre ?
Dans mon existence, né à Arradon (Morbihan), j’ai croisé le bateau.
J’ai adhéré et développé un système de contrat avec des sponsors qui m’ont permis de naviguer.
La célébrité, si on peut appeler cela ainsi, est un outil qui permet de développer ce système.
Il est évident que si je n’avais jamais gagné de courses, je n’aurais jamais intéressé personne à mon projet de construction d’un trimaran de 27 mètres.
J’ai usé de cette notoriété comme d’un outil.
Maintenant, je suis content que toutes les manifestations de cette soi-disant notoriété se soient amenuisées, car c’était devenu difficile.
Renaud t’immortalisait en 1980 avec sa chanson « dès que le vent soufflera », quel effet ça fait d’être ainsi au hit parade ?
L’histoire de cette chanson, je l’ai vécue bizarrement. J’avais eu la chance de rencontrer Renaud autour de la voile, à la base de vitesse de Brest que j’avais eu le plaisir de lancer. On a fait une ou deux fêtes.
Quelques temps après, à la Rochelle, j’étais sur le William-Saurin, Renaud est venu me voir à bord et m’a dit : « Je t’ai mis dans une chanson, est-ce que ça te fait chier ? » Je lui ai répondu : « Non. Si tu as envie de me mettre dans une chanson, c’est ton histoire ».
Quand il a fait la présentation de cette chanson au Zénit, il avait invité toute une bande de marins, c’était sympa.
C’est incroyable l’impact qu’a cette chanson. Je continue à utiliser sa « notoriété » pour faire avancer les choses dans lesquelles je m’engage, auprès des jeunes.
Sur quelle période as-tu effectué des courses en mer ? Ta carrière sportive en somme ?
Au début, dans les années 60, j’ai connu les régates dans le Golfe du Morbihan. Puis, comme ça a marché, j’ai fait des courses en Angleterre et des convoyages de bateaux.
En 1970, c’était la création de la course de l’Aurore, la première en solitaire en France. J’ai gagné cette course en 1974. Ce qui m’a donné des appuis pour la suite et m’a permis d’établir un système qui est monté en puissance. J’ai navigué sur le Capitaine Cook, VSD…
En 1979, avec Gahinet, on a gagné la transat en double, les deuxièmes étant Tabarly et Pajot ! Ce fut un gros coup médiatique.
Je conseille de faire de la course car on apprend plein de choses qui permettent d’être peinards pour des balades, des croisières et acquérir la facilité nécessaire pour arriver au monde de la sensation.
La course en mer a-t-elle évolué ?
La course a évolué sur les plans industriels, intellectuels et même psychologiques car les limites ont été repoussées de manière inimaginable. C’est une réussite de ce côté-là.
Maintenant, avec les sommes en jeu, il y a exagération, mais à l’échelle de ce qui se passe dans le football, la Formule 1 et même le vélo, ce n’est presque rien. Les jeux du cirque, quoi !
Le dopage touche-t-il aussi le monde de la coque ?
A mon époque, il n’y avait pas de dopage, si ce n’était à la vitamine C, au tabac, au café fort, au chocolat, aux tablettes de glucose. Maintenant, certains prennent-ils des amphétamines ? Je ne le crois pas, en plus il y a des contrôles… Même le haschich est interdit, alors qu’à part décontracter certains marins nerveux, je ne vois pas l’avantage…
Déjà en 1976, le Canard Enchaîné titrait « la coque à Colas dans une mer de pub » à propos du sponsoring. Ca fait quoi de voir son bateau servir d’enseignes publicitaires ?
A l’époque, j’avais fonctionné de manière novatrice. On créait des événements, des régates. On faisait un système. Mais même VSD m’a donné des moyens inférieurs au total de la somme. J’ai été très aidé par les fournisseurs et des coups de main périphériques par des industriels, des ventes de t-shirts même aidaient à boucler les budgets.
Quand j’ai arrêté, j’étais dans le rouge à la banque. Je n’avais pas l’impression d’être une enseigne publicitaire. Je m’en foutais de porter un t-shirt « Jules » si les parfums Jules m’avaient aidé… Je voulais un trimaran de 27 mètres, je me suis donné les moyens.
Je pense qu’il serait intéressant de réfléchir à l’utilisation de la voile dans le monde actuel, à cette époque de pétrole de plus en plus cher, ne serait-ce qu’au niveau du tourisme.
Pendant vingt siècles, les humains ont transporté des marchandises à la voile, maintenant ils font le tour du monde en 60 jours. Il y a là quelque chose à exploiter.
Pour l’America’s cup, le bateau « Défi français » avait pour nom Areva, sponsor exclusif… Aurais-tu refusé certaines entreprises ?
Je ne rougis d’aucun de mes sponsors. Ma démarche, mon système, pour obtenir un nouveau bateau consistaient en un programme de courses, en termes de budget, durée (ex : engagement pour six courses sur trois ans), qui aboutissait à un contrat avec la marque.
Ensuite, je renouvelai mes démarches, en proposant un nouveau contrat.
Aujourd’hui, les bateaux coûtent de plus en plus chers. Je déplore les sponsors du style Areva. Ce n’est pas normal. Areva fait dans le nucléaire, promène du plutonium, est inscrit dans une logique militaro-industrielle, la course aux armements, qui vise à la suprématie militaire. C’est comme l’EPR à Flammanville, c’est un danger supplémentaire.
Les actions de protestation que nous avons menées leur font au moins de la contre-publicité. Malheureusement, le nucléaire ne tue pas que ceux qui sont pour. Transparence et démocratie, voilà ce qu’il faut.
Que penses-tu de la notion de compétition ?
La régate est la meilleure méthode pédagogique d’apprentissage de la navigation à la voile. Quand tu fais de telles courses, tu acquiers des techniques qui te servent pour la navigation de tous les jours. Elle est issue d’une tradition maritime. Les marins préfèrent être devant que derrière ! Les marins ont toujours mesuré le temps : aller le plus vite possible vers un nouvel abri. Pour chaque trajet, le nombre de jours était compté.
Il est vrai aussi que les régates d’aujourd’hui sont nées de défis entre têtes couronnées (roi d’Espagne contre roi d’Angleterre…), ainsi que l’America’s cup où ce sont des milliardaires qui se font compétition sur des bateaux magnifiques.
En France, cela a entraîné un engouement de la population vers la navigation à la voile.
Un rêve offert ?
Mieux : « Arrête d’en rêver : va naviguer ! »
Comment vois-tu les autres sports, spécialement le football, parfois classé comme une religion ?
Le football est un moyen de communication puissant. Par exemple, Alain Gerbaut a organisé des matches entre les populations îliennes (Tahiti…) pour que chaque village ait son terrain de foot, car les activités coloniales avaient détruit leurs lieux de rassemblements traditionnels.
Le foot, c’est aussi le goût du sport, de la fête, de la tradition. Pour des milliers de gens, le foot est un lieu de dépassement, de déplacement.
C’est aussi devenu un orgueil régional et national, avec ce paradoxe qu’il est servi par des « mercenaires », ce qui au final rétablit peut-être l’esprit mondialiste.
Après, quand on voit qu’il y a autant de flics que de spectateurs à certains endroits…
Mais dans la compétition, il y a aussi cette notion « d’écraser les autres », non ?
Pour moi, faire de la course était le seul moyen d’être marin. Quand t’es dans la compétition, t’y es, tu fonces. Mais les autres étaient des copains, on n’a pas envie de les écraser.
La mer, ça calme ! (rires) Quand on se prend un vent force 9 en pleine gueule, on pense aux copains qui dérouillent aussi.
C’est donc un peu différent des autres sports.
Des anecdotes sur le monde de la voile ?
Avec le William-Saurin, pour la course Québec/Saint-Malo, l’ACIMO (Association des Coureurs Internationaux Multicoques… je ne me rappelle plus le O !) dont j’ai été le président, avait imposé une grille de départ aux organisateurs par un parcours chronométré sur le St-Laurent. C’était épique. Le William-Saurin avait fait le meilleur temps. En rentrant le bateau a heurté un gros caillou qui a provoqué une terrible avarie. Il aurait fallu une grue pour soulever le safran et on n’avait pas le temps. J’ai alors loué un marteau piqueur et creusé une tranchée dans le revêtement du port ! Les autorités canadiennes ont hurlé…
Ton engagement politique : le(s)quel(s) ? Depuis quand ?
Je me considère citoyen du monde depuis 1968 et citoyen du monde régionaliste depuis 1974.
A partir de cette base, mon engagement, toujours ponctuel, dépend des situations.
Dans ce cadre, je m’applique à :
- ne faire que ce qui me plaît,
- essayer de mener à bien les chantiers dans lesquels je m’engage,
- naviguer et faire naviguer le plus de monde possible,
- essayer d’aider les amis confrontés à des situations difficiles au niveau écologique.
En 1975, à Erdeven (Morbihan), un projet de centrale atomique était repoussé par la mobilisation populaire (cf. ici) . Etais-tu de la partie ?
J’ai juste participé à quelques réunions. J’étais absent à l’époque, de même pour Plogoff.
En revanche, j’ai participé aux commémorations, notamment devant la statue de la main qui dit « halte au nucléaire », à Erdeven.
En 2004, les militaires ont mis ton bateau « la Rieuse » de côté ! Peux-tu nous raconter cette histoire ?
Greenpeace nous avait alerté que du plutonium américain était transporté à Cherbourg.
Comme je fais partie de la « flotille de la paix », on est monté en amenant « la Rieuse » avec nous. En manoeuvrant dans la rade de Cherbourg, on a franchi les bornes. On a été arraisonné par les Commandos de Marine, accompagnés d’un officier de police judiciaire ! On a eu 24 heures de garde à vue à décliner nos identités et expliquer pourquoi on était là, ce qui prenait pourtant juste 10 minutes… Deux jugements ont eu lieu au cours desquels les tribunaux se sont déclarés à chaque fois « incompétents ». Résultat, le procureur, sinistre personnage, détient depuis deux ans « la Rieuse » par abus de pouvoir…
Mais, en fait, ça c’est rien, le plus grave, c’est qu’ils continuent le nucléaire, le plutonium et qu’ils fonctionnent comme des dictateurs.
(Pour plus d'infos, voir sa très intéressante interview pour le site Brest ouvert)
En 2000, c’était la catastrophe de l’Erika. Avec des membres de la Confédération Maritime, vous vous êtes invités au château de Thierry Desmarrets, PDG de Total(ement dégueulasse). Raconte-nous un peu.
En fait, c’est le château SECONDAIRE de Thierry Desmarrets ! On savait qu’ils n’étaient pas là. On ne les a pas agressés physiquement. Nous étions 9 et portions un t-shirt « nous ne sommes pas venus chez vous par hasard. AZF & Erika » Nous avons occupé les lieux, éclusé 15 bouteilles de vin… qui n’était pas si terrible que ça. On a aussi restitué une dizaine de kilos de fioul, récolté des plages, qu’on a badigeonné sur les façades. On a aussi démonté les fenêtres qu’on a mises au garde-à-vous dans la pelouse pour qu’elles servent à boucher les trous d’AZF…
Cela nous a valu trois convocations au TGI d’Auxerre (soit des centaines de kilomètres de routes à faire) pour être condamnés au final d’un euro pour les dommages et intérêts et être amnistiés pour fait syndical…
Fais-tu partie de la Confédération Maritime ?
J’ai été membre d’honneur. Mais je ne le suis plus. Parce que je veux le contrôle de mes engagements, de mes apparitions.
Je fais aussi partie de SOS incinérateurs, sortir du nucléaire, menhirs libres…
Je souhaite préserver ces autres engagements, être entièrement libre de mes mouvements…
Aussi bien pour l’écriture, le jardinage, la lecture, la navigation…
Faire de la voile ce n’est pas le « tout tourisme » et sa vocation commerciale, avec les ports « parkings à bateaux », les corps morts qui défigurent le paysage, qui grignotent les plages familiales…
Pour le golfe du Morbihan, je voudrais que soit étudiée cette formule : suppression de tous les moteurs à hydrocarbure au profit de la voile, de la perche, des avirons et même du moteur électrique, rechargeable par des batteries fonctionnant aux éoliennes. Ce territoire fragile et merveilleux mérite d’être un tel laboratoire. Il faudrait aussi revoir le nombre de bateaux à circuler.
L’école Diwan, c’est quoi pour toi ? L’immersion (procédé pédagogique qui consiste à étudier chaque matière en breton et à échanger dans la cour et la cantine en breton, le français étant étudié en tant que langue vivante), fait débat : quelle vision en as-tu ?
J’ai le souhait de développer la réalité péninsulaire armoricaine. Dans cela, il y a trois points :
l’aménagement du littoral, la préservation de la science mégalithique, la culture et la langue bretonnes. Ce qui me sensibilise, c’est la préservation de la vie bretonne.
De la lutte à Carnac autour des menhirs pour éviter la destruction d’une ferme et pour le maintien des personnes en activités, nous avons été amenés à faire des recherches sur l’histoire des menhirs pour contrer les inepties des « Versaillais ». Cela a entraîné des rencontres avec des musiciens, des artistes bretons (conteurs, chanteurs…) déjà sensibles à la question. Cette fréquentation se complète et s’entrecroise.
Pour ce qui est de l’aménagement du littoral du Golfe, je fais partie de l’association « Golfe clair » qui tire des constats et fait des propositions.
La palette de l’enseignement de la langue bretonne se compose de :
- Div yez : étude bilingue dans le cadre de l’Education nationale,
- Dihun : école bilingue confessionnelle
- Diwan : laïcité, gratuité et immersion.
Ces trois piliers de Diwan sont sa réalité. Pour moi, Diwan est la meilleure solution. Et je n’ai qu’à me féliciter de l’enseignement qu’a reçu l’un de mes enfants à Diwan.
Pour mieux la faire connaître, j’organise chaque année la « Diwan Kup », un rassemblement maritime qui se déroule dans le Golfe. La prochaine a d’ailleurs lieu le samedi 10 juin.
Un projet d’intégration de Diwan dans l’Education Nationale a suscité une vive polémique, y compris au sein de Diwan. Quelle est ta position ?
Je suis pour l’intégration à part entière de Diwan dans l’Education nationale, comme élément du service public d’éducation à la condition que son fonctionnement actuel soit maintenu. Du genre « donnez les mêmes sous qu’aux autres écoles, nous saurons les dépenser. »
L’indépendance de la Bretagne, ça fait toujours tilt chez toi ? Qu’est-ce que ça t’évoque ? Quel sens lui donnes-tu ?
La Bretagne est une entité géographique extrêmement intéressante, depuis toujours.
Le détachement de la Loire-Atlantique par Pétain est un affaiblissement de cette région. Je suis donc pour le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne.
Dans le cadre du système républicain actuel, je suis pour que soient renforcés les pouvoirs régionaux. Comme citoyen du monde régionaliste, je préférerais une Europe des Régions à une Europe des Nations, c’est-à-dire chaque région indépendante dans un ensemble européen.
Mais, ne retrouve-t-on pas, à l’échelle régionale, tout le spectre politique de l’extrême gauche à l’extrême droite autour d’un projet voisin ? Même le patronat breton, regroupé par exemple à l’Institut de Locarn, soutient une Europe des Régions avec l’idée de Code du Travail régional, Education régionale, formation professionnelle régionale selon ses besoins… Que réponds-tu ?
Oui, c’est très dangereux. Je réponds « service public universel » : accès à l’eau, à l’énergie, à l’autosuffisance alimentaire, etc… à gérer à l’échelle planétaire. Je suis pour une gestion solidaire universelle par-dessus les Etats. C’est-à-dire que chaque région préserve son autonomie mais apporte aide et appui à celles qui en ont besoin.
Te considères-tu comme militant ?
Oui, dans le sens où l’on se définit et s’engage autour d’actions.
Tes souvenirs militants les plus rigolos ? les pires ?
Le pire souvenir fut sans doute notre voyage au Mexique, au Chiapas. La police mexicaine de l’immigration ne nous a pas lâchés. Nous étions surveillés. On nous a consignés à bord. Un copain était même interdit de débarquer.
Il y a eu aussi la charge des gardes-mobiles à Carnac qui nous ont tapé violemment après que le drapeau français suspendu à la mairie eut brûlé. Il y a eu cinq blessés.
Et rigolos ?
Lors de la journée du patrimoine, nous avions porté les revendications de « Menhirs libres », au château de Josselin de Rohan qui était alors président du conseil régional de Bretagne. Il n’était pas content le duc de Rohan !
En fait, ce n’est jamais très drôle d’être obligé pour faire entendre une cause juste, en tout cas qui mérite examen, de dépasser son comportement habituel, car c’est le seul moyen dont la population dispose.
Si la majorité des gens s’intéressaient aux problèmes qui les concernent directement, les choses pourraient vraiment changer. Les plus nombreux sont les déshérités.
Et l’anarchie, alors ?
C’est comme la sainteté, c’est rare !
J’ai eu la chance de lire certains bouquins, je pense en particulier à « la vie de Max Jacob ». J’ai aussi rencontré Coluche. Je ne sais pas si on peut dire qu’il était vraiment anarchiste, mais il m’a marqué.
Tu as défini quelque part l’anarchie comme « la responsabilité sans le pouvoir »…
C’est la seule solution, car elle ne retire rien à l’individu.
Entretien réalisé le 22 mai 2006 pour le Monde libertaire et paru dans le numéro 1447 (des 21-27 septembre 2006)
NB : A propos des luttes culturelles en Bretagne, voici une position qu ele groupe avait adoptée en 2002 avec les autres groupes de la fédération anarchiste de Bretagne : ici.