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blog - Vannes & alentours

Compte rendu de la conférence/débat « L'enfermement psychiatrique en question(s) » avec Jacques Lesage de la Haye, vendredi 1er avril, Vannes

 

Palais des Arts, Vannes, 20h30, ce vendredi 1er avril

 

"La folie n'est pas de voir un autre monde, mais de voir le monde tel qu'il est et de l'accepter". Remarque que l'on prête à Jacques Brel...

 

Une bonne trentaine de personnes a participé à cette soirée ! En attendant l'enregistrement (et peut-être la vidéo si le son est correct), en voici une synthèse.

Ce soir là, nous avions choisi de nous interroger sur un sujet d'actualité même si le grand public semble relativement indifférent. Il s'agit de l'enfermement psychiatrique.


Le 22 mars 2011, les députés, en notre nom, ont voté en première lecture une nouvelle loi qui se présente comme une amélioration de la prise en charge des patients atteints de maladie mentale...


Mais, selon de nombreuses associations de défense des droits de l'Homme et du secteur de la santé, cette loi est avant tout sécuritaire et liberticide (Cf. cet article) : elle introduit le casier psychiatrique à l'instar du casier judiciaire, elle octroie un pouvoir énorme aux Préfets à peine contrebalancé par l'intervention d'un juge et l'avis des médecins : le Préfet aura le dernier mot dans tous les cas ! Pour un regard plus précis sur cette loi, lire cet excellent article du Monde libertaire.


Cette loi va évidemment générer un encombrement des hôpitaux : en cas de trouble à l'ordre public, vous pourrez être contraint à un traitement à domicile, une  personne du corps médical passera chaque jour vous administrer votre  neuroleptique... Trouble à l'ordre public ? Mais n'est-ce pas le propre  de l'activité militante ? Combien d'entre nous sont-ils et sont-elles passibles de cette condamnation ? On évacue aussi les causes sociales  des comportements dits "hors normes"... N'est-ce pas cette société qui  devient folle ? Aussi s'agit-il de questionner le principe même de  l'enfermement psychiatrique et de la place du fou dans la société.

 

A ce sujet, nous accueillons Jacques Lesage de la Haye.

Biographie non exhaustive de l'intervenant :

 

Né le 4 septembre 1938 à Fort-de-France en Martinique.

Jeune, il s'engage dans le militantisme libertaire à la manière de la bande à Bonnot.

Il fut condamné à 20 ans de réclusion criminelle en 1958. Il sort de prison au bout de 11 ans. Il y a connu l'enfermement au mitard et la prise de médicaments dits neuro-stabilisateurs dont il eut du mal à s'en défaire. Son frère, qui a eu le même parcours, n'eut pas la même chance. Au bout de 18 mois d'enfermement il « perdit la boule » selon les termes de Jacques Lesage de La Haye.

A sa sortie, Jacques termina les études de psychologie qu'il n'avait pu finir en prison.

De 1969 à 1971, il est psycho-sociothérapeute au Centre psychothérapeutique de Reuil-Malmaison. De 1972 à 2003, il est psychologue à l'Etablissement public de santé de Ville-Evrard. Durant cette même période, il est chargé de cours à l'université de Paris 8 où il enseigne non seulement la psychiatrie, l'analyse reichienne mais aussi les questions autour de la « délinquance et la toxicomanie ». Il est depuis 1980 analyste reichien et formateur du Cercle d'Etudes Wilhelm Reich à Paris dont il est l'un des fondateurs.

Il crée, dès 1974, le mouvement Marge et la revue du même nom. Il fait partie du mouvement anti-psychatrie et lutte contre l'enfermement. Il est fondateur et animateur de l'émission anti carcérale « Ras les murs » depuis 1989 sur  Radio libertaire. Il participe depuis 2010 à la fondation de l'Association Nationale de Justice Réparatrice qui a pour mission de lutter contre le récidivisme.

Il a écrit de nombreux ouvrages et articles depuis 1971.

 

 

Intervention de Jacques Lesage de la Haye :

 

De son vécu de « taulard », Jacques Lesage de La Haye se rendit vite compte que l'hôpital psychiatrique et la prison sont des choses semblables. Dans les deux cas, l'enfermement n'arrange rien. Au contraire, l'enfermement empire les pathologies. L'hôpital psychiatrique est construit comme une prison. Il y a le cachot, le mitard, la prison dans la prison. Dans l'HP on appelle ça la « cellule d'isolement ». L'HP est pire que la prison car, d'une part, à la « cellule d'isolement » s'ajoutent les médicaments, qui sont un enfermement psychologique, d'autre part il y a les effets secondaires à cette prise de médicaments, puis le diagnostic qui enferme le patient dans une boîte sociale, ensuite, l'appellation de « malade » plutôt que de « patient », mais aussi, l'inscription dans un fichier donné au commissariat, …. Le patient est donc enfermé physiquement, psychiquement, et socialement.

Dans les deux cas, prison et HP, l'enfermement sert à rassurer ceux qui sont à l'extérieur. L'hôpital psychiatrique sert à faire croire à ceux qui sont dehors qu'ils ne sont pas fous. Or nous sommes tous fous. Être fou est de ne pas croire en sa folie, de ne pas se rendre compte de sa folie. La solution n'est pas d'enfermer les soi-disants « plus fous que nous » mais de se demander comment on peut traiter cette folie commune.

Une solution avait été proposée qui ne semble pas viable selon Jacques Lesage de La Haye. Il s'agit du « suivi-en ville ». Or, le fou qui ne se croie pas fou puisqu'il est fou arrête son traitement, ne va pas voir le psychologue ou psychiatre, et empire son cas. Il s'en suit qu'il commet des fautes graves aux yeux de la loi et se retrouve en prison. Selon Jacques Lesage de La Haye, 30% des gens non suivis sont en taule. La solution n'est ni d'enfermer ni de laisser à l'abandon les personnes psychologiquement en difficulté, en souffrance. Tout d'abord, la société doit revoir sa vision du fou et de la folie. Jacques Lesage de la Haye proclame le droit à la folie. Ensuite, il faut réviser les lois actuelles qui n'ont d'objectif que la sécurité, qui fonctionnent sur les peurs humaines, qui permettent à une population de privilégiés de détenir le pouvoir. Il faut sortir de la terreur et de l'idéologie sécuritaire. Puis, il faut établir entre le patient et le thérapeute un travail en confiance, un partage d'affect, d'amour, de respect de la liberté de l'autre. La thérapie que préconise Jacques Lesage de La Haye est basée sur les théories et pratiques de W. Reich. Il s'agit non seulement de faire un travail d'analyse sur les traumas liés à la genèse de l'individu, in utérus, naissance, enfance, mais aussi de soigner le corps dans sa chair par des pratiques comme le yoga, l'expression corporelle, la danse, les massages, la musique, l'art-thérapie, etc., et de rendre compte des pathologies qui sont liées non seulement au vécu personnel mais aussi par la société capitaliste (pouvoir dévalorisant de la normalité, idéologie du progrès, de la performance, enfermement dans les prisons, psychiatrie mal construite et poussée par les lobbies pharmaceutiques, etc.)

Enfin, guérir c'est rentrer dans la dynamique qui nous constitue et sublimer notre problématique. Jacques Lesage de La Haye dénonce donc l'enfermement psychiatrique et propose notamment des visites à domicile qui renforcent l'attitude fraternelle, le partage d'affect, l'échange, le sentiment d'indépendance et de liberté, le suivi psychologique du patient et l'élaboration par le patient et le thérapeute d'un « signal rouge » dans le comportement de l'individu qui annonce le passage de névrosé, de nous, à un « fou »...

 

Débat :


Certains points de l'intervention de Jacques Lesage de la Haye ont été mis à la loupe. Premièrement, la répression est en rapport avec le capitalisme. Les laboratoires pharmaceutiques sont à la porte des hôpitaux psychiatriques. Ils offrent des bateaux, des voitures, des buffets, etc., aux différents services dans les hôpitaux psychiatriques. Ils font du commerce au détriment de la santé mentale.

Deuxièmement, la psychanalyse n'est plus présente dans les hôpitaux psychiatriques. Chaque symptôme a son médicament, son traitement chimique.

Troisièmement, les laboratoires profitent des hôpitaux pour faire des expériences. Ils testent certains médicaments. Ils y a parfois des effets secondaires irréversibles comme la cécité. Or, le médicament est une camisole. Il peut certes aider certains sujets dont la souffrance est telle qu'ils ne peuvent vivre « normalement » sans. Jacques Lesage de la Haye conclut le débat en constatant que dans notre société actuelle, la pulsion de vie est brimée. Notre destin est incompréhensible, difficile. Nous sommes angoissés. Nous avons peur. Nous souffrons.

Selon Jacques LDLH, une société libertaire ne sera pas exempte de délinquance et de problèmes psys... même si elle les amoindrira par ses caractères égalitaires et émancipateurs... (Resteront l'angoisse de la mort, l'absurdité de la vie, les traumatismes liés à l'enfance...) Mais si cette société se prétend libertaire, ce seront ses manières de traiter ces situations qui feront la différence, en tout cas elle se refusera à l'enfermement qui ne résout rien, au contraire.

 

 

 

 

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