blog - Vannes & alentours
Entre Halloween et Noël, c'est un peu la période des déguisements. Le déguisement est aussi le symbole du carnaval. Or nombre de fêtes populaires, à l'instar des carnavals, revêtent désormais un aspect commercial prédominant alors qu'elles bousculaient - peu ou prou - l'ordre en place. Pourtant, cette récupération ne fonctionne pas encore partout. Des carnavals, ancrés dans une culture populaire, font de la résistance et font vivre une forme de subversion vivace et stimulante, tout en s'inscrivant dans la société actuelle.
Le carnaval de Cayenne est de ceux-là.
Zoom !
Dispositifs scénographiques des touloulou sales (carnaval de Cayenne) :
performance urbaine et émancipation sociale
par notre camarade Blodwenn Mauffret, docteure en Études théâtrales / Laboratoire SeFeA (scènes francophones et écritures de l'altérité)– Paris 3 – Sorbonne et membre du groupe libertaire Lochu !
Introduction :
Cette présente analyse s'inscrit au sein d'un travail de doctorat en Études Théâtrales qui aborde le carnaval de Cayenne à travers sa dramaticité. Cette recherche s'ancre à partir de plusieurs travaux de terrain où nous nous sommes positionnées en observatrices mais aussi en carnavalières. La problématique majeure de notre étude doctorale interroge la relation qu'entretiennent l'esthétique et la subversion à travers l'histoire du carnaval de Cayenne, de la colonisation à l'époque contemporaine. Elle interroge les mécanismes d'ajustement qui ont amené esclaves et « gens de couleur libres » à retourner une fête religieuse, au service d'une coercition imposée par l'ordre colonial et esclavagiste, en une pratique subversive contre l'ordre imposé. L'histoire du carnaval, des premiers temps de la colonie jusqu'à la période contemporaine, est constituée d'esthétiques originales qui rendent possible des subversions de tout type. La tradition dramatique carnavalesque est fortement marquée par la pratique du Détour pouvant se définir par l'exacerbation du caractère dérisoire de l'être créole. Le grotesque européen mêlé à la dérision militante créole, offrent-ils un héritage théâtral permettant d'exprimer une digne rage, une humanité perdue, une utopie nouvelle ?
Ce présent article questionne une pratique carnavalesque contemporaine, les touloulou sales, qui s'inscrit dans cette tradition dramatique du Détour et du grotesque. Pour cela, nous interrogerons non pas tant les discours produits par les représentations carnavalesques des touloulou sales mais, plutôt, les dispositifs scénographiques propres à leur performance. En quoi et comment les matériaux concrets et préalables à la représentation, à la mise en place d'un discours, narrent-ils le politique, bousculent-ils l'ordre en place au profit d'une émancipation sociale ?
Lire la suite de ce très intéressant texte (20 pages en pdf)
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Blodwenn Mauffret a soutenu sa thèse « Le carnaval de Cayenne : esthétique et subversion – Histoire d'un phénomène festif issu du fait colonial » sous la direction de Mme Sylvie Chalaye le 5 décembre 2012 à Paris 3 et a obtenu la mention très honorable et les félicitations du jury. Elle est l'auteure de nombreux articles scientifiques sur le carnaval et d'un ouvrage Le carnaval de Cayenne. Le jeu carnavalesque : une esthétique de proximité, Matoury : Éditions Ibis Rouge, 2005.
Résumé :
Touloulou sale désigne dans le carnaval de Cayenne toute personne qui se déguise à peu de frais et défile sans musiques ni chorégraphies préétablies à la différence des groupes à thème organisés et régis en association loi 1901. Les touloulou sales vont à l'encontre du carnaval-parade, du carnaval-spectacle, mis en place depuis les années 1970. Ils sont l'expression d'une culture populaire qui affirme sa pauvreté et bouscule l'ordre établi. Les matériaux préalables à la performativité carnavalesque et visibles au sein des dispositifs scénographiques manifestent l'esthétique grotesque bakhtinienne qui permet au carnavalier de s'affranchir des points de vue prédominants sur le monde et de mettre en place une utopisation du monde.
Mots clés : carnaval, Guyane française, grotesque, matérialité, subversion
Abstract :
Dirty touloulou is the name of the people who disguise themselves at little cost in the Cayenne carnival. The dirty touloulou parade without a rehearsed choreography or music contrary to the organised carnival bands. Their aesthetics are poles apart. The dirty touloulou band are in opposition to the carnival-parade, the carnival-show, a new aesthetic beginning in the 1970's. They are the manifestation of the people's culture. They assert their poverty. They contest the social order. The materials required for carnival performance and apparent in the scene setting, are the expression of the European grotesque. This aesthetic was clearly defined by M. Bakthine. The grotesque enables dirty touloulou to free themselves from prevailing opinions about the world and to produce a new utopia.
Keywords : carnival, French Guiana, grotesque, materiality, subversion.
(traduction Alexandra Evain)