blog - Vannes & alentours
(* Mondialisation = globalisation capitaliste)
Depuis Seattle en novembre 1999, les sommets internationaux des puissances étatiques et financières (G8, OMC,…) sont perturbés par des manifestations de masse. La résignation face aux Puissants semble s’estomper et des milliers de personnes n’acceptent plus leur logique de course au profit.
Rusés, ces maîtres du monde jouent plusieurs cartes pour désamorcer les mouvements qui osent les remettre en cause :
- Fichage et répression policière gigantesques ;
- Coûts des déplacements en temps et en argent pour les opposant-e-s. Les prochains sommets seront excentrés…
- Tentative d’intégration des forces contestataires les moins radicales pour mieux les absorber et pour éloigner les véritables éléments subversifs.
Mais les sommets ne sont que la partie “ spectacle ” des échanges entre puissants pour se partager le gâteau “ monde ”. Nous ignorons presque tout de leurs réunions secrètes, des tractations entre groupes de pressions (les fameux lobbies) À tel point que les représentants des États ne représentent guère les intérêts de leurs électeurs et électrices, mais bien ceux du monde capitaliste.
Et parfois il ne suffit pas d’aller loin pour trouver où s’organisent les requins. Ainsi, cette fois, nous ne nous épuiserons pas pour aller jusqu’au Qatar, prochain sommet de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). En centre Bretagne, il existe un des éléments clés de cette mondialisation, intitulé “ Institut de Locarn, cultures et stratégies internationales ”. Avançant sous les traits de l’élite des forces vives économiques bretonnes, autoproclamé le “ Davos breton ”, cet organisme de formation idéologique mélange savamment élitisme, ultra-libéralisme, catholicisme intégriste et nationalisme.
C’est pourquoi, manifester à Locarn contre cette institution ne se limite pas à une lutte symbolique et abstraite : il s’agit de montrer comment les thèses réactionnaires de cet institut se traduisent concrètement pour mieux les combattre.
Son objectif politique étant la constitution d’une Europe des régions dont le lien serait le catholicisme, avec l’entreprise comme famille et le patron comme chef de famille. Locarn voit en effet dans la guerre économique une guerre des cultures. Il ne faut pas sous-estimer la capacité de nuisance des idées que diffuse cet institut : “ la mondialisation unifie, efface les frontières mais en même temps en crée de nouvelles. C’est pourquoi les élites régionales ne sont pas défavorables à la mondialisation ni à l’Europe. ” (Alain Dieckhoff : Directeur de recherche au CNRS, intervenant à Locarn le 23 mars 2001).
Des gens souffrent de ce modèle, qui n'est pas particulier à la Bretagne, mais sévit partout dans le monde : conditions salariales dégradées par la précarité, la flexibilité et le chômage, cadre de vie dégradé par diverses pollutions, déstabilisation de la paysannerie par la course à la compétitivité.
Ce patronat breton qui prétend faire de l'emploi sa préoccupation principale est parmi les premiers à licencier dans cette période de reflux économique : hausse du chômage de 4,9% en juillet 2001 en Bretagne, soit plus du double de la hausse moyenne constatée en France, selon la DRTE de Bretagne.
Créé en 1994, à Locarn, près de Carhaix, par Joseph Le Bihan, professeur d’économie à HEC et ex-consultant de la DGSE (services secrets), l’Institut se définit comme un centre de recherche et de prospective pour les patrons bretons. Appelé à “ imaginer la Bretagne du futur ”, “ à bâtir de nouvelles lignes d’horizon pour la Bretagne de demain ”, Alain Glon, J-P Le Roch (Intermarché), J‑J Hénaff (les pâtés), Patrick Le Lay (TF1) et une soixantaine d’autres patrons bretons ont lâché chacun 100 000 F pour la création de “ l’Institut ”, les collectivités publiques assurant l’autre partie du financement.
Inauguré par l’Archiduc Otto de Habsbourg, membre de l’Opus Dei et par Yvon Bourges (ex-président du Conseil régional de Bretagne), l’Institut de Locarn ambitionne de faire de la Bretagne “ un tigre économique dans une Europe fédérale ”.
L’Institut réunit les représentants du secteur privé industriel, agricole, commercial et médiatique, mais aussi des services publics (EDF, France-Télécom) de sociétés d’économie mixte (Port autonome de Nantes-St-Nazaire) et de coopératives agricoles (Coopagri). Tout ce petit monde se retrouve pour chercher ensemble les moyens de leur expansion.
Le fonds de commerce de l’Institut de Locarn
“ Les fondements de notre action, de l’action des décideurs et des entrepreneurs sont :
- l’enracinement dans notre culture Bretonne.
- la capacité d’imaginer le futur. À Locarn, on invente le futur ” (propos d’Alain Glon, Président de l’Institut de Locarn).
Le stratagème des tenants du pouvoir pour rallier le plus grand nombre à leurs objectifs et éventuellement détourner la contestation consiste à les orienter vers d’autres voies, sous couvert de projet de société. La ficelle classique est le nationalisme (ou sa variante régionaliste). Celui-ci consiste à faire croire et adhérer à des projets communs entre tous les habitant-e-s d’un territoire, peu importe leur situation dans l’échelle sociale. Leur but n’est donc pas tant de soutenir une culture riche de diversité et vivante mais bien de s’en servir comme véhicule pour développer leurs affaires. Sous cet aspect, la culture mâtinée de nationalisme n’est pas un rempart contre la mondialisation mais bien un de ses aspects, sans doute parmi les plus difficiles à combattre. L’Institut l’a bien compris…
Constitué au printemps 2001, le Parti Breton semble être la “ branche politique ” de Locarn, tant les sujets abordés à Locarn se retrouvent dans les objectifs de ce parti. Dans un courrier à Ouest-France, messieurs Divard et Moisan (ce dernier intervient régulièrement à Locarn sur les bio-technologies) écrivent ceci : “ de nombreuses analyses s’accordent pour dire que l’enracinement et l’identification d’un peuple à son territoire sont des facteurs incontestables de développement économique. L’Ėcosse, l’Irlande, la Catalogne ou la Bavière en sont de brillants exemples ”.
De son côté, Patrick Mareschal, adjoint au maire PS de Nantes qui fut le premier président du CUAB (Comité pour l’Unité Administrative de la Bretagne), partage l’idée que “ le sentiment identitaire joue un rôle dans l’auto développement ”.
Ėvidemment, jamais ces responsables politiques et économiques ne mettent au débat public quoi développer, pourquoi il faut le faire et au bénéfice de qui. Les dés sont dès lors pipés.
À l’origine de l’Institut de Locarn, de fortes références catholiques…
Si le patronat breton est traditionnellement proche de la démocratie chrétienne, on note une radicalisation de ce catholicisme sous l’impulsion d’un certain nombre de participants actifs de l’Institut de Locarn
- Joseph le Bihan, son fondateur, est connu pour ses prises de position ouvertement racistes sur l’Occident chrétien, le déclin démographique, la rechristianisation, etc.
- Guy Plunier (un dirigeant d’Yves ROCHER) qui fut secrétaire général de l’Institut est le cofondateur du Cercle des Nations à Bruxelles, de Catholiques pour les Libertés Ėconomiques (CLE). Le président de CLE est le conseiller économique de Le Pen. CLE organise des conférences mensuelles pour les conseillers économiques des gouvernements catholiques d’Amérique du Sud et d’Europe centrale. Guy Plunier est membre de l’Opus Dei…
- Parmi les financeurs de la venue du Pape en France en 1996, figurent Jean-Pierre Le Roch (président du groupe Intermarché) et ex-président de l’Institut, Yves Rocher, etc… C’est d’ailleurs, depuis l’Institut, qu’a circulé une pétition réclamant un discours du Pape en breton lors de son étape à Sainte Anne d’Auray…
- L’Institut a été béni par le moine bénédictin, et intégriste, “ Dom Le Gall ”.
- Une Europe des régions catholiques offre un cadre éthique et rassurant pour le patronat en mal d’identité et lassé des contraintes sociales. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la genèse de cet Institut. Et, précise Glon (actuel Président de Locarn), si l’Institut s’ouvre désormais sur l’extérieur, c’est en conservant sa vocation.
- L’Opus Dei est une société secrète au sein de l’Ėglise catholique. Née en 1928 en Espagne, elle a pour objet de restaurer les valeurs morales. Soutien de Franco jusqu’à sa mort, elle recrute à travers le monde parmi tous ceux et toutes celles qui peuvent être influents (du monde religieux au monde politique, économique, etc.). Son rôle de lobby au sein des institutions européennes est notoire.
Des médias au diapason
Le sentiment d’identité, comme l’opinion, ça se travaille. L’hebdomadaire “ le Nouvel Ouest ” et TV Breizh, filiale de TF1, sont ainsi largement parrainés par l’Institut de Locarn.
Cependant, ces deux médias peinent à percer : ainsi, TV Breizh, lancée par Patrick Le Lay, PDG de TF1 et membre de Locarn, atteint à peine 0,1 % des parts d’audience.
Ouest-France est, par ses éditorialistes et en particulier son PDG François-Régis Hutin, une chambre à écho des thèses de Locarn (Europe des Régions, défense du catholicisme, anti-syndicalisme, etc.).
Dans le même registre, Ouest-France a publié l’Histoire de Bretagne en bande-dessinée de Secher et Le Honzec (ex-dessinateur de Minute). Le travail de Secher est l’objet de controverse car celui-ci tente de présenter l’identité bretonne comme victime d’un perpétuel ethnocide culturel. Secher est membre de Locarn et les mécènes de l’Histoire de Bretagne sont entre autres : Citroën (dont le directeur rennais, Auguste Genovèse, fut président des “ amis de l’Institut ”), Glon, Hénaff…etc.
Le modèle prôné par Locarn
Au fil des conférences de Locarn se dessine le modèle recherché par ses membres :
- Donner plus de puissance aux régions au détriment de l’Ėtat… (“ gestion autonome des établissements scolaires, régionalisation de la Sécurité Sociale, création d’un fonds de pension régional… ”) ;
- Des petites économies compétitives organisées en réseau, “ nouveaux moteurs de la globalisation ”, l’Ėtat central se consacrant essentiellement à ses fonctions régaliennes (défense, police, justice) ;
- Le modèle pour les institutions européennes est “ le Saint Empire Romain Germanique qui rassemblait les Etats et les villes libres confédérées ” (expression de Sylvain Wicklam, intervenant aux rencontres de Locarn du 19 février 1999).
Un changement d’image qui ne vaut pas reniement
En février 2000, les dirigeants de l’Institut de Locarn font leur mea-culpa : ils veulent rompre avec “ unecertaine opacité qui leur a valu une image un peu obscure ” et déclarent favoriser “ le développement d’un modèle qui n’ait pas pour seul fondement l’économique mais intègre également les réalités culturelles et une tradition humaniste ”.
Il s’agit surtout de redresser un déficit d’image dont a eu à souffrir l’Institut, avec des attaques de la part de divers journaux, dont Golias, l’Humanité, Libération, Lettre à Lulu.
En bref, l’Institut de Locarn semble mettre un peu d’eau dans son vin. Les références religieuses se font plus rares. L’Institut deviendrait-il une simple Chambre de Commerce et d’Industrie parallèle ?
L’Institut de Locarn et l’agro‑alimentaire
L’actuel président de l’Institut de Locarn, Alain Glon, dirige le groupe Glon-Sanders, basé près de Pontivy (Morbihan). Depuis l’été, des publicités dans le Télégramme et Ouest-France vantent ce fabricant d’aliment pour l’élevage…
En créant un véritable système destiné à importer des farines britanniques en France jusqu’en 1996, les industriels comme Glon, ses filiales et intermédiaires, ont profité des carences de l’Administration pour accumuler d’énormes profits. On sait aujourd’hui que ce sont ces farines animales qui ont véhiculé l’ESB, responsable de la vache folle.
Glon est devenu un des hommes les plus puissants de la région. Il est désormais n° 1 du secteur. Bien sûr, chez cet ambitieux entrepreneur les syndicats n’ont guère le droit de cité.
Le 16 février 2001, le séminaire mensuel de Locarn visait la défense du modèle agricole breton “ associé à l’industrie et aujourd’hui mis en cause ”. Et, pour ne pas être en reste, l’Amiral Guy Labourie, insiste “ nous devons réussir avec la mer ce que nous avons réussi avec l’agriculture ”. Ca promet.
Consensus sur la notion de développement des affaires
Fondamentalement, le but de l’Institut de Locarn reste le même : développer les affaires, d’une part en créant lobbies et réseaux de décideurs, d’autre part en s’appuyant sur un sentiment identitaire régional breton et en tentant d’y greffer des corporatismes de “ pays ”.
Mais délesté en façade de ses caractéristiques les plus réactionnaires, il est plus facile pour l’Institut de Locarn d’obtenir un consensus “ développementiste ” avec les divers courants politiques, de droite ou de gauche.
Lors du séminaire du 7 novembre 2000, Glon proposa “ qu’auprès de chaque élu régional il y ait une équipe composée d’un représentant de l’Institut de Locarn, d’un administratif, d’un représentant du Conseil Ėconomique et Social ”… Proposition à laquelle répondit favorablement Josselin de Rohan, actuel Président du Conseil Régional de Bretagne. On se demande à quoi bon voter si ce sont les patrons qui prennent les décisions !
Application pratique : quelques importants projets de déménagement du territoire, comme l’aéroport international de Notre-Dame des Landes (entre Nantes et Rennes) ou le génopole Ouest (réseau de laboratoires de recherche en génétique), projets qui reçoivent les soutiens aussi bien des mairies social-démocrates de Nantes, Rennes, St-Nazaire et des conseils régionaux de droite de Bretagne et des Pays de la Loire.
En clair, et ce n’est pas particulier à la Bretagne, tout ce petit monde communie à l’autel de l’expansion économique sans fin, qui signifie surtout pérennité de leurs pouvoirs économique et politique, mais pour le commun de l’humanité, productivisme, pollution, malbouffe, exploitation, aliénation et soumission à ces soit-disant élites qui seraient seules légitimes à définir et à exprimer nos besoins.
Une approche guerrière de l’économie
L’Institut de Locarn aurait-il vraiment mué vers un modèle d’une économie “ humaniste ”, comme l’indiquait ses dirigeants au début de l’année 2000 ? Où est l’humanisme quand l’Institut démarre début 2001 un cycle de formations en lien avec l’Ėcole de Guerre Economique (EGE) ?
L’EGE est liée à la grande école de commerce, l’ESSCAE : “ Rapports de force ”, “ affrontement global ”, “ conquêtes de parts de marchés ”, “ lutte contre la concurrence ”, voilà quelques mots-clés dans la littérature de cette école, qui rejoint les préoccupations de Locarn.
Sont notamment au programme l’étude “ des campagnes médiatiques orchestrées par des concurrents prédateurs, le détournement de certains thèmes protestataires de la société civile ” ou encore “ l’usage subversif de la connaissance… la communication offensive… la détection des manipulations des thèmes éthiques sur l’échiquier sociétal ” (cf. site internet de l’EGE).
Difficile de trouver quoi que ce soit d’humaniste dans ce programme : nous voici dans le cœur de la mondialisation. Il ne s’agit pas de développer des coopérations pour un mieux-être humain, mais bien d’exacerber et de généraliser la concurrence entre entreprises et pays en se dotant de tous les moyens, y compris des manipulations pour vaincre la concurrence ou démolir de soit-disant alliés objectifs de la concurrence (syndicats, associations, écologistes, etc.).
Quel rapport avec L’OMC ?
Créée en 1995, l’Organisation Mondiale du Commerce a pour objectif d’établir les grandes règles du commerce international.
Á ce titre, de nombreux aspects de notre vie quotidienne sont directement concernés par les négociations de l’OMC : agriculture, services publics, culture, alimentation…
Le caractère nocif de l’OMC n’est plus à démontrer : disparition des cultures vivrières rendant les peuples dépendant de la production des pays exportateurs, remise en cause des services publics, prépondérance des économies les plus fortes au détriment des pays en développement…
L’OMC est une des structures dont le capitalisme transnational s’est doté avec le FMI et la Banque Mondiale. Ces structures seraient sans objet sans les relais que constituent les Ėtats ou leurs unions (Union Européenne, ALENA en Amérique), et sans les entrepreneurs plus ou moins grands qui s’inscrivent dans ces logiques. Voilà que l’on pense à l’Institut de Locarn ! L’OMC tient son sommet au Qatar du 8 au 12 novembre. Nous manifestons contre le tentacule “ Institut de Locarn ” le samedi 10 novembre.
Pour un autre modèle économique et social !
Le “ capitalisme de proximité ” prôné par Locarn est un détournement du “ vivre et travailler au pays ”, revendication légitime de populations souvent amenées à émigrer vers la région parisienne. Mais pour beaucoup, ce système signifie “ trimer et mal vivre au pays ”.
Des gens luttent contre “ l’avenir radieux ” que nous prépare cette bourgeoisie bretonne alliée aux potentats locaux de droite et de gauche. Luttes des populations des alentours de Notre Dame des Landes, luttes de paysans contre les technologies OGM, luttes de salarié-e-s dans les entreprises, luttes d’habitant-e-s pour la qualité de l’eau.
La réussite de ces mouvements est une étape : l’objectif est pour nous l’égalité économique et sociale et le droit pour les individus de s’associer librement, pour en finir avec toutes les formes d’exploitation et de domination, qu’elles soient étatiques, patronales, religieuses ou patriarcales.
MANIFESTONS DEVANT L’INSTITUT DE LOCARN
« LE DAVOS BRETON ! » LE 10 NOVEMBRE 2001 À 15 h PENDANT LE SOMMET DE L’OMC
Locarn est à 8 km au nord de Carhaix, en Bretagne