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blog - Vannes & alentours

La question énergétique

Texte de l'intervention de Jean-Pierre TERTRAIS réalisée en avril 2011, sur la question énergétique, au local la Commune de la fédération anarchiste Rennes. Il s'agit uniquement de la partie technique, la partie politique étant destinée au débat.


 

 

LA QUESTION ENERGETIQUE

 

L'histoire des civilisations est marquée par de nombreuses découvertes et inventions, mais plus particulièrement par celles liées à l'énergie. Pendant très longtemps, les sources d'énergie étaient essentiellement des énergies renouvelables (bois, tourbe, vent, hydraulique, énergie animale et humaine).

  TN-Jongleur

A partir de la révolution industrielle survenue au 19e siècle, un fossé est franchi : le charbon et la machine à vapeur, puis le pétrole, le gaz naturel, l'électricité, l'uranium rendent l'énergie abondante et bon marché, reléguant en grande partie les énergies renouvelables aux oubliettes parce que non concurrentielles. C'est-à-dire que le capitalisme subordonne les lois de la physique et de la vie à ses propres lois économiques, et en plus au nom du réalisme.

 

Il faut noter que le recours au charbon est dû à une exploitation inconsidérée du bois au point de provoquer une situation de crise grave. C'est en se plaçant eux-mêmes dans une impasse énergétique que nos ancêtres ont été contraints d'exploiter de nouvelles filières et de passer outre leurs inconvénients.

 

Il faut aussi rappeler que les limites du système énergétique médiéval conduisirent à prélever des ressources à l'extérieur du royaume et donc à conquérir de nouveaux territoires, ce que les puissances européennes réalisèrent par le commerce maritime, la colonisation des Amériques et l'esclavage, notamment en Afrique. Le progrès technique s'est souvent accompagné de massacres sociaux et environnementaux.

 

Cette transition énergétique de la fin du Moyen Age présente une situation similaire à celle que nous vivons actuellement, sauf qu'il n'y a plus, aujourd'hui, de nouveaux territoires à conquérir, et que toutes les énergies fossiles sont en passe d'être dilapidées.

 

Avec l'essor des énergies fossiles, on assiste donc à une montée en puissance des économies occidentales, convaincues de leur supériorité, avec l'idée que les réserves en énergie, et en matières premières, n'ont pas de limites, que la croissance est normale, nécessaire et qu'elle peut durer indéfiniment.

 

Ce qui est sidérant aujourd'hui, c'est la facilité avec laquelle on brûle un litre d'essence, et le fait de savoir que pour obtenir ce litre d'essence, il aura fallu que 23 tonnes de matière organique soient transformées sur une période d'au moins un million d'années. Il y a bien un télescopage entre le temps industriel et le temps géologique.

 

Le piège que l'humanité s'est tendu à elle-même se referme, à savoir que la croissance économique couplée à la croissance démographique ont créé un ensemble gigantesque de besoins que les capacités de régénération de la planète ne vont désormais plus pouvoir satisfaire.Le sociologue Alain Gras explique dans son livre « Le choix du feu » que si la biosphère se porte mal, c'est à cause de l'utilisation incontrôlée par l'espèce humaine de la puissance du feu. Les énergies naturelles imposaient des limites, elles contraignaient à la prise en compte d'éléments extérieurs à la volonté de l'homme : le vent parce qu'il est instable, le bois parce qu'il se reproduit lentement, l'eau parce qu'elle ne fournit sa force que sur les lieux précis. Le feu de l'énergie fossile débloque ce verrouillage, et par conséquent dissipe la notion de contrainte, et donc la fonction de vigilance. Tout est désormais permis. Il n'y a plus de signal d'alarme.

 

S'agissant des lois de la physique et de la vie, il faut savoir que les systèmes vivants peuvent accroître leur niveau d'ordre et de complexité en augmentant la quantité d'énergie qui les traverse ; mais ce faisant, ils augmentent inévitablement l'entropie au sein du système plus vaste auquel ils appartiennent. L'ordre a toujours un coût en termes d'énergie. Voici ce qu'écrit Richard Heinberg dans « Pétrole la fête est finie » : « Telles sont les règles du jeu en ce qui concerne l'énergie et la vie : les ressources sont toujours limitées et rien n'est gratuit. A long terme, il est dans l'intérêt de toutes les espèces d'utiliser l'énergie de manière parcimonieuse. Si la compétition existe évidemment dans la nature, elle est temporaire et limitée ; la nature privilégie les arrangements stables impliquant l'autolimitation, le recyclage et la coopération ».

 

Voici les principales caractéristiques de la situation énergétique actuelle : il se trouve qu'elles sont toutes plutôt défavorables.

 

° La dépendance totale des sociétés modernes vis-à-vis des ressources énergétiques fossiles

Presque tout ce que nous pouvons toucher contient du pétrole, soit dans le processus de fabrication soit dans l'acheminement. Les transports représentent le premier des débouchés du pétrole avec la moitié des produits pétroliers consommés dans le monde.

 

L'agriculture et l'agroalimentaire sont devenus très dépendants du pétrole : mécanisation, pompage pour l'irrigation, engrais industriels, pesticides, culture sous serre, acheminement des produits agricoles, emballage, réfrigération. Ainsi, le pétrole et ses dérivés interviennent à quasiment toutes les étapes de la chaîne agroalimentaire.

 

° La vulnérabilité des sociétés industrielles face aux ruptures économiques et politiques résultant de réductions même mineures de la disponibilité des ressources énergétiques. Plusieurs événements (pannes, défaillances, grèves, sabotages, attentats, troubles politiques...) ont, depuis le début de l'ère pétrolière, perturbé plus ou moins gravement, l'activité économique et la vie quotidienne (voir surtout le premier choc pétrolier de 1973).

 

° L'augmentation prévisible de la demande Deux facteurs conjuguent leurs effets :

  • l'augmentation de la population mondiale, qui va passer d'un peu plus de 6,5 milliards aujourd'hui à environ neuf milliards vers 2050, c'est-à-dire des besoins nouveaux considérables en termes de nourriture, d'habitat, de chauffage, de transport...

  • le développement économique de plusieurs pays comme la Chine, l'Inde, la Russie, le Brésil, c'est-à-dire là aussi un prélèvement important d'énergie et de matières premières.

 

°La question du réchauffement climatique Même s'il n'est pas sûr que cette question soit la plus importante des problèmes écologiques, elle n'est pas vraiment prise au sérieux par beaucoup parce que ses effets apparaissent lointains, globaux et diffus. Or les taux de CO2 actuellement constatés (et surtout dûs à la combustion des énergies fossiles) sont supérieurs de 30% aux taux maximaux constatés ces 400 000 dernières années. Les conséquences sont difficiles à évaluer mais suffisamment inquiétantes pour amorcer un changement radical de nos modes de vie.

 

° Le caractère inévitable de l'épuisement des énergies fossiles La production journalière vient probablement d'atteindre son maximum et va bientôt commencer à décroître, selon un phénomène que l'on appelle la déplétion.

 

En supposant une croissance de la consommation mondiale d'énergie primaire de 2,53% par an, les réserves mondiales prouvées en nombre d'années de consommation sont de 25 ans pour le pétrole, de 35 ans pour le gaz naturel, de cent ans pour le charbon, de 55 ans pour l'uranium.

 

D'autre part, les découvertes de pétrole diminuent. Il faut rappeler que les dix plus importants gisements au monde en termes de débit ont tous été découverts entre 1927 et 1976. Globalement, nous consommons aujourd'hui quatre barils de pétrole pour un baril découvert.

 

Pour ce qui concerne le pétrole « non conventionnel », c'est-à-dire non exploitable directement – sables asphaltiques, schistes bitumineux, huiles extra-lourdes – il se caractérise par un rendement énergétique médiocre, voire nul, et un coût d'exploitation élevé ; il ne représente donc en aucune façon un réel espoir.

 

Un autre facteur risque d'aggraver la situation : la raréfaction prévisible de nombreuses matières premières, comme le cuivre ou le platine, essentielles à la production, au transport, à la distribution et à l'utilisation de l'énergie, au-delà du tarissement attendu des réserves énergétiques fossiles.

 

° La loi des rendements décroissants à laquelle sont sujettes les stratégies de captage d'énergie des sociétés industrielles : il faut de plus en plus d'énergie pour produire une même quantité de pétrole, de gaz ou de charbon. Il faudra bientôt investir plus d'énergie, en moyenne, pour explorer, forer et extraire le pétrole que les puits eux-mêmes pourront produire.

 

° Le caractère immédiat du pic de la production d'hydrocarbures Hubbert, géophysicien américain, avait suggéré dans les années 1940 que la courbe de production d'une matière première donnée est une courbe en cloche (une phase ascendante, un plateau ondulé, un déclin). Pour les estimations pessimistes, le pic oscille entre 2007 et 2012. Selon les optimistes, il aura lieu vers 2030. Or l'AIE, jusqu'à présent optimiste, vient de reconnaître que l'on est en train de vivre en ce moment le pic de production (la production mondiale de pétrole stagne depuis deux ou trois ans autour de 85-86 millions de barils par jour, alors qu'elle a toujours augmenté jusque-là )

 

° L'impossibilité de remplacer intégralement par des alternatives cette source d'énergie concentrée et pratique que constituent les hydrocarbures.

  • Le gaz naturel est loin de posséder les qualités du pétrole et, de toutes façons, il suit la même courbe de Hubbert que celle du pétrole avec un léger décalage.

  • Le charbon : c'est le plus abondant, mais le plus controversé en raison des dégâts humains et environnementaux qu'il occasionne.

  • Sous les apparences d'une énergie propre, le nucléaire cumule de nombreux le-cri-nucleaire.pnginconvénients (accidents, prolifération, déchets, effets sur la santé des salariés et des populations environnantes, coût réel exorbitant, notamment du démantèlement des centrales, minerai d'uranium en quantité limitée et présent dans quelques pays seulement, société policière, militarisée induite par le choix du nucléaire).

Les énergies renouvelables (solaire, hydraulique, éolienne, la biomasse, c'est-à-dire les matériaux végétaux, l'énergie des mers, l'énergie géothermique). Il est très probable que ces énergies ne constitueront qu'un appoint. Les énergies renouvelables cumulées ont un potentiel théorique très élevé de production énergétique, mais ces gisements très abondants sont en fait extrêmement difficiles à exploiter massivement, de façon durable.

Leur gros avantage, par contre, est qu'elles sont largement réparties sur l'ensemble de la terre. Une des conséquences de cette répartition est l'idée d'une possible production délocalisée de l'énergie, ce qui constitue un atout évident pour une société libertaire.

 

Concernant les agrocarburants, il faut rappeler que, même avec une amélioration future des rendements, leur production mobilisera des pourcentages insupportables de terres cultivables, créant une compétition entre cultures vivrières et cultures destinées à la production d'énergie.

 

Quant à l'utilisation d'autres sources d'énergie pour la propulsion des véhicules – voiture à hydrogène ou voiture électrique – ces solutions présentent en fait un potentiel très limité. Concernant l'hydrogène, il faut rappeler qu'il n'est pas une source d'énergie mais un vecteur d'énergie. Pour donner un ordre de grandeur, il faudrait multiplier par deux le parc mondial de centrales nucléaires pour obtenir l'hydrogène nécessaire au remplacement du parc automobile mondial actuel. S'agissant de la voiture électrique, outre le temps de chargement assez long des batteries et la faible autonomie, généraliser la voiture électrique impliquerait, là aussi, un recours important au nucléaire. Avec la nouvelle catastrophe au Japon, rien n'est moins sûr.

 

Si l'on procède donc au bilan global des ressources énergétiques plausibles par rapport aux besoins prévisibles, l'optimisme n'est pas de mise. Une demande en hausse, une production en baisse, pas de solution de rechange, des prix qui s'envolent : c'est bien une crise énergétique qui se profile, et qui va toucher des populations absolument pas préparées puisqu'abreuvées de discours rassurants.

 

Richard Heinberg, auteur de Pétrole la fête est finie, écrit : « Une fois que l'humanité aura traversé la période à venir de diminution de la complexité, il est entièrement possible que nos descendants jouissent d'un mode de vie bien moins gourmand en énergie et plus épanouissant. Mais le parcours nécessaire pour y arriver, en partant d'où nous sommes, a de fortes chances d'être extrêmement pénible, et la satisfaction éprouvée une fois la destination atteinte dépendra dans une large mesure des actions entreprises maintenant ».

 

Il n'est pas envisageable d'empêcher les pauvres de s'assurer un minimum de croissance économique. Il n'est pas envisageable non plus d'obliger les nouveaux arrivants (plus de deux milliards d'ici 2050) à manger des cartes de crédit ou des pommes de terre virtuelles. Il reste donc à remettre en cause le gaspillage, mais aussi en partie le mode de vie des pays industrialisés, et plus précisément celui des riches des pays riches, mais aussi des riches des pays pauvres. Jusqu'où ? Telle est la question.

 

Les axes fondamentaux autour desquels se décline la sobriété énergétique qui nous attend sont connus :

° le respect du rythme de régénération des ressources renouvelables (forêts, ressources halieutiques) ;

° le ralentissement de la consommation des ressources non renouvelables ;

° les économies d'énergie ;

° l'éco-efficience : rationalité technique qui permet de fabriquer un même objet avec moins d'énergie et de matières premières ;

° la relocalisation de la production ;

° le recyclage des matériaux ;

° le développement des énergies renouvelables.

 

Les solutions au quotidien sont également connues. Côté transport (50% de la consommation de pétrole, rappelons-le) : contraction du commerce mondial (des dizaines de milliers de tonnes de marchandises parcourent chaque jour des dizaines de milliers de km, avec souvent les mêmes produits dans les deux sens). Réduction de la mobilité des hommes : distances du domicile au lieu de travail, ce qui suppose une réorganisation du travail et de l'urbanisme, utilisation de modes de transport doux (marche, vélo pour les courtes distances), covoiturage (ce qui suppose une remise en cause des habitudes), transports en commun. Côté alimentation : nourriture produite localement, plutôt biologique, de saison, moins carnée, lutte contre le suremballage.

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