blog - Vannes & alentours
Un article récent écrit pour le Monde Libertaire.
La fusion Assedic-Anpe a de quoi inquiéter les chômeurs et les salariés des deux institutions.
L’emballage est beau : « mettre tout un service public au service des demandeurs d'emploi et aux services des entreprises ». Il s’agirait de décloisonner deux organismes, Anpe et Assedic, inadaptés à un retour rapide à l’emploi.
Que la situation actuelle soit imparfaite, nul ne le conteste. Mais le remède risque d’être pire que le mal…
Quelques vérités…
Déjà, ce n’est pas cette fusion qui va créer par elle-même des emplois.
Par ailleurs, s’il y a officiellement près de 2 millions de chômeurs et chômeuses, les offres « en tension » sont estimées (sans que ce chiffre ne soit fondé sur des enquêtes fiables) à 500 000, dont des emplois dans le service aux personnes qui ne sont pas à temps plein, ni durables. Y’aura pas de boulot pour tout le monde !
Rappelons qu’une bonne indemnisation des chômeurs permet à ceux-ci de trier les postes qui leurs sont offerts. Du coup, il est plus difficile aux patrons qui paient mal ou qui imposent des conditions de travail pénibles de rechigner aux revendications des salariés. Ils ne peuvent plus faire le chantage : « il y en a 10 comme toi qui attendent dehors » vu que les chômeurs préféreront toucher leur revenu de remplacement plutôt que bosser dans de telles conditions ! Un chômage bien indemnisé renforce donc les salariés dans leurs luttes. C’est un appui qui permet de tirer les salaires vers le haut. C’est ce qu’ont bien compris patronat et gouvernement apparemment…
Ceci posé, voyons ce qu’il en découle pour les personnels puis pour les chômeurs, en bout de chaîne (ce dernier mot étant choisi à escient !).
Officiellement, Assedic et Anpe, en tant que structures séparées, disparaissent le 1er janvier 2009. Le nom provisoire du futur organisme, « France-emploi » (a-t- on échappé à Patrie-Travail ?) aura fait long feu car vient d’être révélé son patronyme définitif : «Pôle-emploi » (coût : 135 000 euros !). Ce qui signifiera refaire tous les logos des deux organismes et harmoniser les couleurs des 1600 agences… dont la facture est estimée à 12 000 euros chacune !
Les effets de la fusion se font déjà sentir.
C’est toute la ligne hiérarchique qui est touchée car il ne faut qu’un chef à chaque niveau de la structure. Depuis juillet 2008, les directeurs des grandes régions ont été départagés. A partir de janvier 2009, sur une période de 18 mois, seront sélectionnés les cadres locaux qui gèrent les bureaux d’accueil, en respectant plus ou moins une certaine proportion entre anciens cadres Assedic et anciens cadres Anpe. Des egos seront flattés, d’autres rabaissés… De cette compétition va découler une pression sur tout le personnel, en cascade jusqu’au chômeur…
Comment justement entretenir la concurrence entre personnels et les faire adhérer à la traque du chômeur et de la chômeuse ?
Par la ou le référent unique ! Qu’est-ce à dire ? Le référent unique inscrira la ou le demandeur d’emploi, définira son profil professionnel, lui calculera ses droits (ou non) aux allocations et la ou le mettra en relation avec les entreprises. Il aura un portefeuille de … « clients » à suivre (comme dans une assurance ou une banque classiques !) qu’il aura pour objectif de vider : tant de reclassés (reprises d’emploi), tant d’orientés vers une formation, ou …. tant de radiés pour insuffisance de recherches d’emploi et, s’il en reste à la fin d’une certaine période, ce sera à cet agent de s’expliquer, de justifier pourquoi un tel ou une telle est toujours au chômage au bout de X mois… et de ses réponses dépendra son déroulement de carrière, l’évolution de son indice… Même s’il n’adhère pas « idéologiquement » à l’esprit de la direction, celle-ci le tiendra par la bourse (son salaire !). Ceci n’est pas écrit stricto sensu dans le projet, le Pouvoir peut crier au procès d’intention, il n’empêche que c’est l’analyse que font des militants syndicaux.
Jusqu’à présent, les métiers Assedic et Anpe étaient différents : d’un côté l’indemnisation, de l’autre la recherche d’emploi. Pour chaque organisme, la formation de base était de 6 à 8 semaines… Les Directions se refusent a priori à immobiliser une partie de leur personnel durant une si longue durée. Ainsi, à titre expérimental, le référent unique devra intégrer la formation de l’autre métier en quelques jours ! On peut s’interroger légitimement sur la qualité qui en résultera. Le personnel des deux institutions craint une perte de qualifications et se demande quelles formations il aura en définitive réellement pour assurer ses missions… Réponses en 2009 !
Certes, au niveau de l’accueil des demandeurs d’emploi, il ne devrait pas y avoir de suppressions de postes. D’autant que si le nouvel organisme ressemblera aux « jobs centers » anglais, force est de constater que le nombre d’agents n’est pas équivalent : 70 000 travailleurs suivent les chômeurs et chômeuses en Grande Bretagne alors que ce sera la moitié dévolue à cette mission en France. Il paraît dès lors difficile que les objectifs fixés soient atteints… autrement que par la pression. Le ou la référent unique devra suivre un trop grand nombre d’individus au chômage pour faire un vrai travail personnalisé et à l’écoute de la personne. Conjugué avec l’incitation à les sortir de la liste des demandeurs d’emploi, cela risque de rendre la vie dure à ces derniers et de générer un fort stress au personnel. Ah, les joies du capitalisme ! « L’offre raisonnable » concoctée par le gouvernement et validée par le Parlement tombe à point nommé. Outre la mobilité géographique, il y est question de postes correspondants à nos qualifications ou à nos compétences. Or la notion de « compétences », liées à nos différentes expériences, est assez floue. Certes, il est bon de les prendre en compte. Mais la caricature de son application peut être celle-ci : vous avez fait la « plonge » durant vos vacances d’été quand vous étiez étudiant ? Vous avez donc les compétences pour refaire la vaisselle à la prochaine saison si vous vivez dans une région touristique, bien que vous soyez aujourd’hui technicien sur machines. Ca tombe bien, l’hôtellerie a justement des difficultés de recrutement ! Oh, les horaires sont contraignants ? il faut travailler le week-end ? les heures supplémentaires ne sont pas toujours reconnues ? la paie ne suit pas mais est conforme à ce qui se pratique dans la région ? C’est ça ou l’exclusion temporaire des allocations ou une réduction du taux journalier… Caricatural ? Peut-être… mais cette possibilité existe.
Du point de vue du patron embaucheur, l’intérêt n’est pas toujours flagrant : il sait qu’il n’aura pas quelqu’un de vraiment motivé, qui ne s’investira pas à fond voire qui pourra faire potentiellement des fautes. Il aura donc tendance à surveiller et à accentuer les contraintes. Pour la personne embauchée, faire quelque chose qu’elle ne souhaite pas vraiment, être hyper contrôlée peut pourrir la vie. C’est la porte ouverte aux dépressions ou aux coups d’éclats…
De même, vous pourrez être incité à la mobilité professionnelle, c’est-à-dire à changer de métier et à effectuer des stages vous permettant de correspondre aux besoins des entreprises de la région. Ce stage pourra se faire au sein de l’entreprise qui bénéficiera d’aides pour cela, qui triera au final les stagiaires dont elle aura besoin, en n’ayant presque rien déboursé, vu que vous toucherez votre chômage durant la formation. Ce principe existe déjà avec « l’aide à la formation préalable à l’embauche ».
Attention, rappelons que seuls les chômeurs indemnisés (soit à peine la moitié) peuvent prétendre à une rémunération Assedic pendant une formation.
Le but est de sortir du chômage en priorité les personnes indemnisées. La logique comptable prime. Il fut aussi question que le RSA soit pris en charge par le nouvel opérateur issu de la fusion, à la place de la CAF…
La future convention de l’assurance chômage
Les discussions entre patronat et syndicats ont débuté pour la future convention d’assurance chômage puisque celle en cours arrive à son terme. Peu a filtré sur ce qui pourrait en résulter. Il était question d’une réduction du taux de cotisation mais avec l’arrivée de la « crise » et la hausse du chômage déjà amorcée, cette perspective n’est plus aussi évidente, au grand dam du patronat. Est-ce en effet le moment de diminuer les ressources de l’indemnisation chômage ? Le personnel Assedic pense qu’à plus ou moins court terme, c’en sera fini de la complexité de la réglementation, qui garantissait une des meilleures rémunérations d’Europe, au profit d’indemnisations forfaitaires par tranches de salaires… qui risquent d’entraîner des montants d’allocations moins intéressants. Ceci dit, écrasons tout de suite un idée reçue, l’indemnisation chômage n’est pas royale : 80 % des indemnisés perçoivent moins de 1000 euros par mois. Ce serait aussi plus facile et plus rapide d’assimiler cette réglementation allégée pour le personnel Anpe… Ainsi la boucle serait bouclée.
Et les syndicats ?
C’est dans cet esprit que se discute actuellement la future convention collective du nouvel organisme. La ministre de l’économie et le président de la République ont déclaré qu’elle se ferait en prenant le meilleur des deux statuts. En effet les personnels s’inquiètent : quels salaires ? quel déroulement de carrière ? quelle mutuelle pour quels droits ? quelle caisse de retraite complémentaire ? Surtout que les agents de l’Anpe ont un droit d’option pour conserver leur statut public actuel. De quoi occuper les syndicats qui négocient en prenant au mot le discours des politiciens que le « directeur général de l’instance nationale provisoire », Charpy (ex directeur de l’Anpe), avait bizarrement oublié. Toujours est-il que les soucis d’une bonne partie des personnels Assedic/Anpe sont d’ordre corporatiste, tant qu’existera ce flou… d’autant que la fusion entraîne en plus une redistribution des cartes syndicales… avec toutes les rivalités qui en découlent.
La première question en cours de négociation est celle du devenir du service employeur des Assedic (1200 salariés) car la collecte des cotisations se fera bientôt par l’Urssaf. Ce qui entérine encore plus la fin de l’indépendance financière des Assedic, qui géraient elles-mêmes leurs ressources.
Cette fusion Assedic-Anpe ne se fait pas en faveur des demandeurs et demandeuses d’emploi ni du personnel des deux institutions. Réduction des coûts et mise à disponibilité d’un volant de main d’œuvre malléable par la contrainte risquent d’être la réalité à venir. La révolution sociale n’étant pas encore programmée, il faudra bien se défendre. Pour un chômeur ou une chômeuse sanctionnée qui resterait isolé, le combat sera difficile. Il faudra déjà vérifier si les procédures ont été respectées, ce qui implique des connaissances juridiques. Il ne sera pas conseillé ici d’en référer à un avocat. A défaut d’organisations de chômeurs et chômeuses, ce sera le moment de se rapprocher des organisations syndicales pour qu’elles prennent un peu mieux à bras le corps le problème des salariés sans emploi. Mais, si on veut avancer socialement, c’est bien une lutte collective qu’il faut construire : pour un partage des richesses et du travail, pour une définition de ce qui doit être produit et de comment on le fait…