
UNE ECOLE AUX ORDRES DU CAPITALISME, REPRODUCTRICE DES NORMES SOCIALES OU LIEU DE LIBERTE ET D’EMANCIPATION DES INDIVIDUS ?
Le jeudi 25 juin 2009, le groupe libertaire « René Lochu-Francisco Ferrer » s’est réuni au Bar « Le Billabong » d’Auray pour une soirée débat autour de la question de l’école. Pascal du groupe de Vannes était chargé d’introduire la discussion. Aperçu des propos liminaires préparés qui ont initié la rencontre.
Difficile pour un groupe de faire impasse sur la question de l’éducation quand il porte le nom de « Francisco Ferrer », militant libertaire dans l’Espagne de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.
En effet, outre les engagements révolutionnaires contre les injustices dans l’Espagne quasi féodale de l’époque, le nom de Francisco Ferrer reste attaché à son combat pour une « laïcité totale » en fondant à Barcelone La ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance : pas question pour le militant libertaire d’abandonner les jeunes esprits à l’emprise de l’Eglise et à ses discours doctrinaires.
Pas question non plus pour lui d’accepter l’arriération culturelle des classes les plus défavorisées. C’est ainsi que Francisco Ferrer a donné naissance à L’Ecole moderne où pour développer les capacités des enfants qui lui étaient confiés, il a mis en place des méthodes éducatives pour le moins audacieuses : n’a-t-il pas été le premier à introduire dans la classe la mixité des sexes, à favoriser l’éveil de l’enfant par la musique, le chant, l’observation de la nature et, interdisant les punitions, à prôner l’autodiscipline ?
Des militants libertaires comme Paul Robin engagé dans l’expérience de l’école de Cempuis et Sébastien Faure qui a créé La Ruche doivent beaucoup à la démarche initiée par Francisco Ferrer.
Au regard de ces figures libertaires, on peut dire que la question de l’éducation a toujours été importante pour le mouvement anarchiste : elle fait partie intégrante de la question sociale puisqu’il s’agit à travers l’école de former des hommes et des femmes qui seront en mesure de transformer la société.
Une école sous influence… idéologique !
Malheureusement, « l’école laïque, républicaine et obligatoire, unique et indivisible » que l’on connait est – sans attendre d’elle qu’elle soit une école révolutionnaire… - loin de s’inscrire dans cet esprit d’émancipation de l’individu.
En effet, l’école que nous connaissons – mais comment pourrait-il en être autrement ?... – est inféodée à l’idéologie dominante, au service des intérêts de la société capitaliste, libérale.
De Jules Ferry à aujourd’hui, il en a toujours été ainsi.
Gardons présent à l’esprit que si l’instruction s’est étendue au peuple au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, c’est non seulement pour le sortir de l’obscurantisme religieux mais c’est aussi pour répondre aux exigences d’une société en pleine révolution industrielle et permettre ainsi au plus grand nombre de s’y insérer en sachant au minimum « lire, écrire et compter ».
Mais il s’agit en même temps de construire une identité nationale en éliminant les particularismes régionaux et en imposant à tous les enfants de la nation un bréviaire laïque au nom duquel ils seront amenés – et mieux armés…- à défendre les frontières du pays, voire à les élargir pour étendre l’empire colonial.
Aujourd’hui, les fonctions de l’école ont bien évidemment évolué : elle est d’abord une réponse à la demande de plus en plus forte d’éducation des familles qui ne veulent plus confier au patron, à l’entreprise la charge d’« apprendre la vie » à leurs enfants.
Dans une société démocratique et marchande, l’école a également pour mission de former « un-e citoyen-ne » capable de s’adapter à un marché de l’emploi de plus en plus mobile et fluctuant. A cet égard, dans le même ordre d’esprit, on peut s’interroger si elle ne sert pas de plus en plus de parking canalisant une jeunesse qui connait des difficultés à accéder à un marché de l’emploi aux entrées toujours plus étroites.
Une école stigmatisée, dénoncée, rejetée
Les griefs contre une école « aux ordres du capitalisme », au service d’une « société de classes », « reproductrice des normes sociales » ne manquent pas.
Tout d’abord, parmi les premiers reproches qu’on peut lui adresser est que, loin de les abolir ou de les atténuer, l’école reproduit les inégalités sociales : l’échec scolaire et les formations les moins qualifiantes concernent massivement les enfants d’ouvrier-e-s ou de petit-e-s employé-e-s.
La nature même de l’école est ainsi soulignée : en privilégiant la transmission de savoirs académiques, abstraits, elle enseigne une culture élitaire. Ce qui, bien sûr, à l’heure de la massification de l’enseignement, n’est pas sans poser de problèmes quand il faut aujourd’hui enseigner à tous et à toutes une culture qui était réservée hier à une élite…
Mais ce rapport de l’école au savoir n’a rien de surprenant quand on sait que sa fonction a toujours été de sélectionner les individus qui lui sont confiés et surtout de sélectionner les élites dont la société a besoin pour diriger le pays.
Par ailleurs, dire que l’institution scolaire est « inféodée à l’idéologie dominante » est un truisme : ne reproduit-elle pas l’image d’une société hiérarchique, inculquant la soumission à l’ordre, à l’autorité : profs, CPE, proviseur ? A se demander même si l’école apprend moins à apprendre qu’à respecter l’autorité résumée dans le triptyque : écouter, se taire, obéir.
Encore, avec ses notes et ses classements, ses grandes écoles et ses concours, l’institution scolaire développe beaucoup plus un esprit de compétition que de solidarité, entretenant un individualisme de mauvais aloi.
On le voit, l’école, pourtant parée des meilleures intentions, trop souvent échoue. Un dernier exemple : sur le modèle de notre société, elle entretient un idéal démocratique qui n’est qu’une illusion avec ses élections de délégué-e-s (de classe, au Conseil d’administration, et pour les commissions diverses). Impossible en effet pour les élèves de contester l’autorité pédagogique des enseignant-e-s et de réellement peser sur l’organisation de la vie du collège ou du lycée – si ce n’est pour demander l’installation de bancs dans le hall ou choisir la couleur des murs pour le foyer socio-éducatif…
Dans ces conditions alors, ne peut-on pas parler encore aujourd’hui d’école de la soumission et du formatage des esprits plus que de la liberté et de l’émancipation des individus ?
Pour une école alternative, plus libre et source d’épanouissement
Pourtant, une autre école est possible, celle qui mettrait au cœur de son fonctionnement et de ses objectifs la liberté ; une école qui serait un lieu de vie et non d’ennui, où l’enseignement ne serait pas focalisé sur la transmission d’une culture classique mais sur une véritable éducation à la citoyenneté ; une école qui développerait l’esprit critique et apprendrait la démocratie réelle et participative; une école qui n’opposerait pas systématiquement enseignement conceptuel et enseignement manuel.
Ainsi, l’école idéale devrait être non pas celle qui écrase et qui étouffe mais celle qui donne confiance en ses potentialités, qui favorise et qui libère la parole, qui éveille à la différence et qui invite à découvrir le monde et à l’interroger.
A tous ces titres, après avoir brisé les carcans institutionnels qui la brident (programmes, horaires, emploi du temps), l’école de la République héritière des Lumières répondra à la mission que nous voudrions lui voir remplir : former des citoyen-ne-s éclairé-e-s et des hommes et femmes libres.
Des enfants de Summerhill au lycée autogéré de Saint-Nazaire, nous savons que l’utopie d’une autre éducation est possible. Mais on l’aura compris : se battre pour une école différente, c’est lutter pour une autre société… sans classes (sociales) ! Ainsi, à la question : « Quelle éducation voulons-nous pour nos enfants ? » fait inévitablement écho cette autre interrogation : « Dans quelle société finalement voulons-nous vivre ? »…
Pascal – Groupe René Lochu (Vannes) - Francisco Ferrer (Lorient)