Voici le texte de l'article paru dans le Monde Libertaire à propos de la manifestation du 25 mars 2007.
Problèmes de grains de sable au pays des Menhirs… Toutes et tous à Erdeven (56) dimanche 25 mars
Un projet mené par un consortium de cimentiers, dans lequel se trouvent deux filiales de Lafarge et Italcementi, prévoit d’extraire 600 000 tonnes de sable et granulats marins par an, à moins de trois milles de la côte, entre Gâvres et Quiberon, et entre la ria d’Etel et l’île de Groix. La concession durerait 30 ans, ce qui porterait à 18 millions de tonnes de sable prélevés, ou « pillés » selon le point de vue à partir duquel on se place : Lafarge ou la population locale. Sans Astérix, ni Obélix, ce petit coin de côte superbe résiste ! Il est vrai que ce cordon dunaire est remarquable et reconnu comme tel, tant pour sa faune, sa flore et comme habitat « naturel ». Il est classé, à ce titre, Natura 2000. Formé à partir de multiples associations locales liées à l’environnement et de particuliers qui se sont fédérés, le collectif « le peuple des dunes » est né en janvier de cette année contre ce projet. Les cimentiers ont en effet obtenu, le 3 mai 2005, une autorisation ministérielle pour un permis exclusif de recherches. Le renouvellement de cette demande a été déposé le 15 janvier 2007. L’étape suivante consisterait à obtenir une concession d’exploitation. L’Etat révèle d’emblée son vrai visage : le soutien implicite aux industriels et leur logique de croissance au détriment des populations locales et de la préservation de l’environnement. Et si la magnifique baie d’Etel changeait de formes ?
Quelle mouche de chantier pique le cimentier Lafarge ? La France, la Bretagne même, sont déficitaires en sable. En 2004, en France, il était produit 401 millions de tonnes de sable pour une consommation de 419 millions. Le manque en Bretagne serait de 2 millions de tonnes par an. Or les carrières terrestres arrivent au terme de leur exploitation, à cela s’ajoute la fermeture des sites d’importation nord européens, anglais et norvégiens en particulier, pour des raisons environnementales. Cette pression sur le marché « oblige » les cimentiers à explorer d’autres pistes. Les sables et granulats marins sont bien tentants et suscitent l’appétit des industriels, d’autant que la réglementation en mer n’est pas toujours claire. Lafarge affirme que le sable extrait servirait uniquement au marché breton.
Bétonner, bétonner, il en restera toujours quelque chose… Pour les opposants, il y a maldonne dès le départ. Faut-il continuer dans cette logique du tout béton sachant que la matière première se raréfie ? Et même, dans ce cadre, il serait bien venu de favoriser le recyclage comme le font déjà d’autres pays européens, à hauteur de 24,5 % en Grande Bretagne, 16 % en Allemagne, contre un maigre 4,5 % en France, alors qu’il serait possible d’en récupérer ainsi plusieurs millions de tonnes ! Au delà, se pose le problème de l’habitat. Beaucoup de constructions sur le littoral breton sont des résidences secondaires, ce qui est doublement indécent : d’une part parce que des individus n’ont même pas un toit, d’autre part parce que cela tire le prix de l’immobilier vers le haut. La population locale peut rarement suivre. Pour les anarchistes, ce projet, c’est « ni ici, ni ailleurs ». Ce qui nous pose problème, ce n’est pas que ce soient des « Parisiens » ou tels ou tels Européens qui s’installent, comme on peut l’entendre parfois avec des relents de xénophobie, mais que c’est bien la bourgeoisie qui colonise la côte. A l’image des banlieues, les réformistes clament qu’il faut plus de mixité sociale sur le littoral. Anarchistes, notre position est connue : nous voulons l’abolition des classes sociales, la véritable égalité sociale donc économique. Cette notion de mixité perd alors son sens, la spéculation aussi. Nous ne voulons aussi qu’aucune maison ne soit vide les trois quarts de l’année, surtout que personne ne soit à la rue, que le parc d’habitations soit ainsi socialisé, l’utilisation de l’habitation déterminant qui en est le possesseur. Nous pensons que c’est aux populations de déterminer leurs besoins en logements, à partir des ressources locales, dans une perspective d’autonomie, d’entraide, d’aménagement du territoire et de décroissance. Paille, terre, torchis, bois, chanvre… sont, avec des techniques modernes, des matières premières à revaloriser et redécouvrir. Evidemment, il ne s’agit pas d’importer du bois exotique ! Il faut quand même savoir que la France détient la plus grande forêt européenne et est le pays européen qui en utilise le moins ! C’est un potentiel non négligeable qui ne demande qu’à être mis en valeur.
Les arguments de Lafarge tombent à l’eau Prudent, Lafarge qui est partenaire de WWF France et labellisé « développement durable » (rires ?) entend respecter la réglementation actuelle en vigueur : Code minier et Code de l’environnement. Le respect de la loi est-il une garantie ? Dans l’affaire de l’Erika, Total n’a par exemple commis aucune action illégale. C’est la réglementation maritime internationale, validée par les Etats, qui permet cette jungle car elle avait été façonnée pour. En l’espèce, des experts sont nommés afin d’évaluer les différents impacts du projet : sur le trait de côte déjà soumis à l’érosion naturelle et sur cette zone potentiellement frayère à poissons… Ces experts ont évidemment conclu qu’aucun impact significatif n’arriverait ! Cette lutte qui commence nous enseigne déjà deux choses. D’abord, il faut se méfier de la parole des experts. Derrière un jargon savant, ils servent le plus souvent de caution aux multinationales qui les ont mandatés… et payés. A l’opposé, comme le souligne un militant du collectif « le peuple des dunes » : « la "pratique" d'un lieu particulier, ici l'espace littoral et marin situé au sud de Gâvres, permet d'avoir des "compétences" acquises par la pratique, l'observation, la transmission orale, pouvant infirmer, valider ou contredire la parole d'"experts" ayant une focal d'observation spécialisée et limitée. Les « pratiques » locaux (habitants, professionnels ...) devraient être des personnes ressources consultées très en amont des projets, au lieu de les réunir uniquement pour entériner les décisions prises après des tractations "secrètes". La "concertation" n'est le plus souvent qu'un discours à vocation "pédagogique", c'est-à-dire, dans la tête des promoteurs des projets, à but d'éducation d'une population a priori incompétente voire inculte ».
Ensuite, les conclusions des experts mandatés par Lafarge divergent des études menées par d’autres, comme le professeur Lebahy, pour qui il faut mener une évaluation au-delà de 30 ans. La côte lorientaise subit actuellement les prélèvements de millions de tonnes de sable effectués au cours et juste après la deuxième guerre mondiale ! En outre, il faut aussi prendre en compte l’élévation attendue et déjà amorcée du niveau de la mer. Ces « querelles » d’experts amènent le collectif à s’interroger sur « la nécessité d’être crédibles et d’asseoir (sa) légitimité sur des argumentaires scientifiques de grande rigueur, ce qui implique pour autant de ne pas se faire piéger par le désir d’être reconnu comme un bon élève au milieu des bons élèves ». « Il s’agit ici de se faire entendre et donc d’utiliser ce qui fait notre différence, c’est-à-dire notre passion, notre conviction que nous agissons pour le bien des générations futures, y compris si, pour ce faire, il faut emprunter quelques chemins de traverse », confirmant que la légitimité d’une lutte ne se calque pas obligatoirement sur sa légalité.
100 % réglementation + 100 % concertation = 100 % bidon ! Sentant la contestation prendre de l’ampleur, le groupe industriel s’est payé une page entière de promotion de sa campagne « sud Lorient » dans les deux quotidiens régionaux, arguant agir dans le cadre de la réglementation et en consultation avec tous les organismes publics. Il a même ouvert un site internet spécial. Entrer dans son jeu, c’est oublier le problème initial de la fuite en avant vers le tout béton, qu’entretient une telle multinationale, car tel est son bizness ! Pourtant, Lafarge avait pris ses précautions. Un Comité Local d'Information et de Suivi (CLIS) a été mis en place dès le début de la procédure. Celui-ci rassemble les élus des communes environnantes, les représentants des administrations concernées et de l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), les associations locales de protection du littoral, les comités locaux de pêche et les cimentiers. Heureusement, le bon sens populaire ne se laisse pas berner par ce comité « bidule ». La contestation rencontre un tel écho que les conseils municipaux, quelle que soit la tendance, si ce n’est condamnent, en tout cas s’inquiètent du projet et demandent des rapports d’expertise indépendants (hum !). Il ne faut pas oublier que nous sommes en période électorale... Sans doute serait-il malvenu pour les candidat-e-s d’être à la traîne sur un tel dossier ! Cela renforce notre conviction que ce n’est pas par la délégation aux spécialistes ou aux élus, ni par la prière que Lafarge & Cie reculeront ! Ce sont bien les mobilisations populaires qui sont les seules à même de changer l’ordre des choses, comme à Plogoff en 1980 ou déjà … à Erdeven, en 1975, contre un projet de centrales nucléaires dont le souvenir rejaillit aujourd’hui…
Comment se traduit cette agitation ? Des articles de presse quasi quotidiens en pages locales présentent les enjeux, relatent les débats des réunions publiques, lesquelles attirent des dizaines, parfois des centaines de participant-e-s, y compris dans de petites communes. Des affiches et des autocollants ont été tirés, qu’on peut voir chez de nombreux commerçants et aux abords des plages. Un forum sur internet a été mis en place. Même des associations de surfeurs s’impliquent. Des artistes locaux comme Gilles Servat ou Lucien Gourond et le marin Eugène Riguidel seront présents et le font savoir. Bref, c’est toute une population qui se met en marche… Il est évident que nos groupes libertaires relaient aussi à leur échelle ce mouvement. La puissance de la manifestation du dimanche 25 mars sur la plage de Kerhillio à Erdeven, à partir de 15h00, dira si l’on a mis des grains de sable ou un menhir dans les rouages de la machine Lafarge !
Ce combat local est aussi une opportunité pour les anarchistes qui permet de dénoncer le centre de tirs de Gâvres que se réservent les militaires, confisquant ainsi ce patrimoine maritime, pour s’entraîner à la guerre, éparpillant moult munitions de tous genres… Nous savons aussi que tant qu’existeront le capitalisme et sa logique de profit, même si l’on réussit à repousser Lafarge et ses acolytes, ses « cousins » risquent de débarquer à nouveau dans quelques années. Le principal, pour les libertaires, est que la population prenne ses affaires en main et décide pour ce qui la concerne.
Le tract que nous avions rédigé à l'époque et un article compte-rendu de cette manifestation sont disponibles en nous adressant un petit message à fedeanar56@yahoo.fr